Chronique

Èch

Èch

Heddy Boubaker (arr, elg), Julien Gineste (as, elec org), Erwan Lamer (drm, perc), Andy Lévêque (as), Walkind Rodriguez (tp, perc, voc)

Label / Distribution : Un Rêve Nu

Rares sont les disques qui s’apprivoisent dès la première écoute, à plus forte raisn dans le champ des musiques libres et improvisées. Tout cela sans faire aucune concession, sans tomber dans la facilité ou le déjà-vu/entendu, mais en faisant preuve d’une niaque d’enfer, d’une débordante générosité et d’une ouverture sans borne vers l’ailleurs.

Ce disque est l’œuvre du quintet Èch , emmené par le grand manitou des musiques libres à Toulouse, Heddy Boubaker. A la fois créateur de groupes, éditeur de disques, organisateur de festivals et de concerts, il joue depuis de nombreuses années le rôle d’animateur et de passeur en faisant bouillonner ce microcosme musical. C’est un phare dont le regard vif et le sourire discret rassurent. Il propose ici un de ses enregistrements les plus aboutis publié sur son propre label, Un rêve nu, en s’entourant d’autres talentueux musiciens. Ces derniers sont pleinement investis dans d’autres formations (La Ligue des Objets pour Andy Lévèque et Piak pour Julien Gineste par exemple) et contribuent eux aussi à la vitalité des musiques improvisées à Toulouse. Le trompettiste Walkind Rodriguez signe (peint plutôt) la magnifique pochette du support physique.

Le disque est un concentré des différents répertoires où la musique libre sait piocher son inspiration. En balayant ce large spectre, le groupe offre une synthèse résolument tournée vers l’avenir de plusieurs décennies d’expérimentations. À la croisée de l’Art Ensemble of Chicago et des Lounge Lizards, cet enregistrement est un beau manifeste démontrant qu’il y a encore beaucoup à dire dans ce registre. Au fil des morceaux s’installe une tension permanente, donnant l’impression d’être constamment sur le fil du rasoir, une sensation malheureusement rare dans de nombreux disques se réclamant de ces musiques-là. Ici, le point de non-retour n’est jamais loin, l’orage gronde sous les assauts incessants de la guitare vrombissante d’Heddy Boubaker. Aidé par ses deux soufflants aux tutti déjantés et aux jeux fougueux, le groupe invective son auditeur et use de tous les moyens pour le happer et l’embarquer dans sa grande procession. Mais il n’oublie pas de le guider au milieu d’un chahut joyeusement bordélique de cris et de sifflets. Si la déferlante sonore est le mot d’ordre, la musique se veut aussi rassurante, comme une caresse tendre et chaleureuse, lors d’éphémères moments de quiétude où le groupe dévoile une autre facette, subtile et plus fragile.

Il n’est peut-être pas trop osé de dire que ce disque continuera encore longtemps de hanter les oreilles des curieux et des curieuses. Et que comme le bon vin, il ne pourra que se bonifier avec le temps, et pourquoi pas même devenir une référence du genre.

par Jean-François Sciabica // Publié le 23 janvier 2022
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