Sur la platine

Konitz / Bley / Connors

Il faut toujours choisir un premier disque quand on découvre un musicien. Pour moi, ce fut celui-ci.


Au moment de rejoindre Citizen Jazz, on me demanda de rédiger deux portraits de musiciens en guise de généreux bizutage. Parmi eux, Lee Konitz. Mon goût pour les altistes au jeu plus musclé comme Phil Woods ou Art Pepper m’avait conduit à faire l’impasse sur ce géant du jazz. Se posait alors la question : par quel enregistrement commencer ?

Je choisis Pyramid, disque de 1977 peu connu et peu encensé, réunissant pourtant autour du saxophoniste Paul Bley et Bill Connors. Ma décision reposait sur des critères purement personnels : un goût prononcé pour la décennie 1970, l’instrumentarium (Bley alterne entre piano acoustique et électrique, tout comme Connors à la guitare) et la présence du pianiste. Son toucher original et tout en délicatesse au Fender Rhodes m’avait toujours plu et inspiré. Son label Improvising Artists avait justement publié cette session.

Chaque musicien apporte deux compositions. On passe ainsi d’une atmosphère à l’autre selon le signataire, tout en évitant l’écueil du disque patchwork. Aucun des trois membres du groupe ne tire la couverture à lui, tous sont à l’écoute et à l’aise sur les compositions des autres. Cette cohésion donne sa cohérence à l’enregistrement de ce trio, peu habitué à jouer ensemble auparavant (ni par la suite d’ailleurs).

Il règne ici une atmosphère de mystère. Sur la pièce maîtresse du disque « Out There », une composition de Konitz, Paul Bley fait sonner son Rhodes de manière très sombre, contrebalançant le jeu lumineux et tout en envolée de Connors. Konitz dévoile ici tout son savoir-faire, emmenant son alto ailleurs, loin de son pré carré. Dans ce registre assez libre, ses inflexions, ses écarts au beau son font toujours merveille. Les deux partenaires se mettent remarquablement à la disposition de sa musique. « Tavia », un magnifique duo saxophone - guitare, permet à l’inverse d’entendre un Lee Konitz tout en douceur, avec son jeu alangui et étiré, plein de sérénité, tendre et intemporel. Une configuration cependant assez rare au cours de sa carrière mais très prolifique sur cette ballade.

Paul Bley sonne ici comme à ses débuts. Sur sa composition, « Play Blue », il s’ancre dans un jeu très blues tout en développant un lyrisme peu habituel chez lui. Il pique aussi certains tics à l’un de ses fervents disciples, Keith Jarrett, pour soutenir l’improvisation : ostinato, répétition de cours motifs mélodiques, heureusement les gémissements en moins. Sur le seul passage d’improvisation libre du disque, « Talk To Me » (plutôt réussi), il joue dans les cordes et rappelle quel grand coloriste il est.

Ce disque mérite aujourd’hui une nouvelle attention. On le trouve encore facilement sur les diffuseurs de contenu en ligne. J’ai écouté depuis d’autres enregistrements de Konitz depuis, mais je reviens régulièrement vers celui-là.