Chronique

Pulcinella

Ça

Ferdinand Doumerc (as), Florian Demonsant (acc, el org), Jean-Marc Serpin (b), Pierre Pollet (dm)

Label / Distribution : BMC Records

Sur une de ses partitions pour quatuor, Ludwig Van Beethoven griffonna cette étrange formule : « Muss Es Sein, Es Muss Sein ! ». En français, ses mots pourraient se traduire par « Est-ce que ça est nécessaire ? Ça est nécessaire ! ». Justement, Ça est le nom du nouveau disque du quartet toulousain, Pulcinella. Et son écoute est plus qu’indispensable. Car le Ça est aussi cette pulsion qui pousse à la satisfaction immédiate de nos plaisirs. En deux lettres se résume ainsi merveilleusement bien l’effet produit par ces dix morceaux. Ça et le Ça sèment le doute entre le réel et l’imaginaire, conférant à l’auditeur un agréable sentiment de toute-puissance.

Jusqu’à présent, Pulcinella s’était fait fort de perpétuer la tradition d’un folklore imaginaire tout en y apportant sa fantaisie et son univers proche du cirque. Il franchit ici un pas, dynamitant le genre en inventant plutôt un folklore rétro-futuriste. Car si l’accordéon reste un des instruments-rois du quartet, il partage la scène avec un orgue Elka, clavier vintage aux sonorités synthétiques un brin désuètes. Pourtant, son intégration au son global du groupe demeure une très belle prouesse. Sous les doigts de Florian Demonsant, il prend une dimension nouvelle grâce à des motifs mélodiques entêtants et empreints de krautrock. Son association avec le mordant de la contrebasse et la puissance du jeu de cymbales crée une ambiance onirique envoûtante. Souvent en retrait, presque lointain, ce nouveau venu apporte apesanteur et légèreté à une musique qui n’en attendait pas moins pour s’envoler et décoller. Le morceau « Ici hélas » semble évoquer la déambulation nocturne d’un Pierrot lunaire d’astre en astre. Si la conquête spatiale s’était faite au temps du cinéma muet, un titre comme « Chaleur » en aurait accompagné les premières images dans les salles obscures.

Rétro-futurisme, mais pas seulement, car le disque dégage un optimisme inespéré par les temps qui courent. « Première séance » pourrait être l’hymne du ré-enchantement d’un monde à nouveau sur la bonne trajectoire. Son écoute en boucle est sans doute à ce jour le meilleur remède à tous les colporteurs de malheur. Tout au long du disque, la malice et l’espièglerie débordent dans le jeu du saxophone de Ferdinand Doumerc ou dans celui de Florian Demonsant à l’accordéon. Leurs folles tournures créent un tourbillon invitant immédiatement à la fête et au bonheur (« Ta mère te regarde » par exemple). La batterie de Pierre Pollet n’est pas en reste. Elle forme une rythmique implacable avec la contrebasse de Jean-Marc Serpin, distillant des grooves et une énorme énergie pour propulser leurs deux compagnons.

Pulcinella propose ici un grand disque, une machine à rêver et un remède de grands frères pour faire disparaître nos peurs et nous pousser vers nos semblables. Un disque intemporel qui pourrait aussi bien dater du siècle dernier qu’être publié dans vingt, trente ou cinquante ans