Chronique

Edouard Ferlet

Par tous les temps

Edouard Ferlet (p)

Label / Distribution : Sketch Records

Après John Taylor, Marc Copland, René Urtreger et Giovanni Mirabassi, c’est au tour d’Edouard Ferlet d’enregistrer en solo pour Sketch.

Sketch, comme ECM, Label Bleu et d’autres, perpétue la tradition de l’emballage soigné des disques de jazz, que Blue Note incarna mieux que quiconque. On lira d’ailleurs avec intérêt la charte graphique de Sketch publiée par nos confrères de Jazz Magazine sur leur site internet. Par tous les temps n’échappe pas aux motifs géométriques, aux juxtapositions osées de couleurs, à la photo étalée sur le triptyque… Mais le contenant ne remplace pas le contenu ! Et dans ce domaine, le quartet du label, Ghielaretti - Bilous - Derderian - Chrouki, a également réussi à créer une grande homogénéité : les artistes naviguent dans les eaux de l’avant-garde sans concession. Edouard Ferlet n’échappe pas à la règle.

Edouard Ferlet n’est pas un nouveau venu chez Sketch, car il y a déjà enregistré deux disques - Considérations et Etant donnés - au sein du trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret, avec Antoine Banville à la batterie. Par ailleurs, Ferlet a également enregistré pour Quoi de neuf docteur avec, entre autres, Christophe Monniot et Médéric Collignon. Il est tout aussi actif en concert avec le trio de Jean-Philippe Viret, avec son nouveau trio Plumes… en compagnie de deux « peintres », Benoît Dunoyer de Ségonzac et Catherine Delaunay, sans oublier, bien entendu, ses concerts en solo, dont celui du festival de Vienne le 7 juillet dernier, et ses nombreux autres projets, comme celui avec Lambert Wilson, par exemple. En dehors du jazz, Ferlet compose pour la publicité, de Mobalpa à Saupiquet, et pour la télévision (un nombre impressionnant de musiques pour des téléfilms de TF1). C’est donc un pianiste très occupé, et la diversité de ses activités n’est pas sans rappeler celle d’un Michel Legrand.

Évidemment, tous les thèmes sont de la plume d’Edouard Ferlet ; on n’en attendait pas moins de la part d’un compositeur aussi prolixe. Même s’il est d’un tempérament plutôt lyrique, ses thèmes ne sont en rien des ritournelles, et sont toujours d’une structure assez complexe, sauf peut-être « Le blues qui monte ». Influence du cinéma, ou des Debussy, Satie et autre Ravel, Edouard Ferlet choisit les titres de ses morceaux avec soin, en rapport avec le contenu - « Ping-Pong », « Le blues qui monte » -, avec des jeux de mots - « Faire les doigts raides », « Capitaine Croche », « Valse à Satan », « Anticontraire », « Babar au pays des Soviets » - ou tout simplement descriptifs : « Prémonitions », « Illusion optique », « L’autre moitié », « Escale ».

Edouard Ferlet a un univers personnel bien à lui qui se situe entre le jazz et la musique de la fin du XIXè - début du XXè. Il affectionne les tempos plutôt lents qui conviennent mieux à son lyrisme, et ses développements pourraient presque paraître écrits tant ils sont cohérents et linéaires. A part « Faire les doigts raides » et « Capitaine Croche », qui alternent jeu rythmique et mélodique du début à la fin, les morceaux sont horizontaux. Si l’influence de Debussy vient à l’esprit quand on entend « Prémonitions », « Escale » et certaines improvisations (« L’autre moitié »), il y a toujours une petite touche de romantisme qui perce çà et là, comme dans « Illusion optique » et la deuxième moitié de « Le blues qui monte ». En revanche, « Ping-Pong » rappelle plutôt « The Joker » de Bojan Z, mais l’évocation s’arrête à la mélodie, car les deux pianistes ont des approches totalement différentes…

Par tous les temps n’est sans doute pas assez débonnaire pour une écoute matinale par grand beau temps, mais cette atmosphère cérébrale conviendra parfaitement « quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »…