Chronique

Elise Dabrowski & Sébastien Béranger

Phalacrocorax

Elise Dabrowski (b, voc), Sébastien Béranger (elec, fx)

Label / Distribution : Meta Records / Socadisc

Artiste physique, intense et radicale dans ses propositions, la contrebassiste Elise Dabrowski aime avant tout se projeter dans la relation privilégiée du duo. Et ceci même si son solo Auroch délimitait avec une grande précision les confins de son univers où les cordes peuvent être aussi bien vocales que tendues sur du bois ouvragé. Sur scène, de Claudine Simon à Alexandra Grimal en passant par Vincent Peirani, on ne compte plus ses aventures. On l’a aussi entendue en disque avec Raphaël Reiter, où la voix se mêlait aux éclats sporadiques du trombone ; c’est à nouveau sur le label allemand Meta Records que l’on retrouve la mezzo-soprano avec Sébastien Béranger, un électro-acousticien que l’on a déjà entendu avec Erwan Keravec et qui compose par ailleurs pour clavecin ou pour quatuor de saxophones. Les retrouvailles entre les deux artistes [1] coulaient de source, tant leurs univers s’imbriquent et se servent mutuellement, ce qu’un récent A l’Improviste sur France Musique avait démontré de manière fracassante.

Avant tout, il s’agit de préciser les choses concernant la musicienne. Contrebassiste ou mezzo ? Subtilement les deux, simultanément, et d’un même corps. Dans « Microcarbo coronatus », c’est l’osmose qui se présente, à un degré jamais atteint dans son expression. La voix est forte, soudaine, gracieuse et profonde ; dans le même temps, la contrebasse est anguleuse, puissante, âpre. De cet apparent antagonisme (« Leucocarbo Nivalis ») naît un irréfragable équilibre. Ce n’est même plus un prolongement, c’est une construction studieuse, inaltérable qui présente sa sensibilité propre et s’impose charnellement à l’auditeur. L’électronique de Béranger n’y est sans doute pas étrangère ; elle s’immisce partout, largue une masse brute qu’il convient d’aménager, et oblige Dabrowski à se livrer tout entière, quitte à parfois composer avec le silence. Phalacrocorax est de ces disques qu’on écoute aux aguets, incertain de ce qui peut suivre, du flux qui s’institue en un instant, à l’image de l’explosif « Leucocarbo melanogenis » où l’archet se débat dans une forêt d’artefacts synthétiques avant d’ordonner l’ensemble dans le grondement des infrabasses.

Phalacrocorax se place sous l’invocation du cormoran (c’est son nom scientifique). Par de nombreux aspects, la musique du duo ressemble au grand oiseau noir : à la fois majestueux et massif, virevoltant et plein de pesanteur. Si la musique de Béranger est primordiale dans cet échange, chaque geste ou chaque son d’Elise Dabrowski détermine la direction prise. L’usage d’électronique en temps réel, singulièrement sur « Phalacrocorax Sulcirostris » donne le sentiment d’assister à un dédoublement, à un dialogue entre la musicienne et une image troublée, comme reproduite dans le mouvement de l’eau. C’est le sens de la photo utilisée pour la pochette du disque, mais il n’y a absolument aucune tentation narcissique. Au contraire, c’est une manière de se livrer entière sans faux-semblant, dans la maïeutique d’une création électronique pleine de tendresse et prête à toutes les déviations. Un formidable exercice poétique et introspectif.