Sur la platine

René Lussier, le Québec à la corde


Issu de la scène québécoise trop méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique, René Lussier est l’un de ces acteurs des musiques de marge que l’on déniche au détour d’un album et qui pousse à la curiosité. Une fois la porte ouverte, on se rend compte que depuis plus de quarante ans, le guitariste est un personnage majeur voire incontournable des sphères improvisées. Remercions donc le label lillois Circum d’avoir publié son joli quintette avec l’accordéoniste Luzio Altorelli et la tubiste Julie Houle.

C’est d’abord avec ses collègues guitaristes que René Lussier s’illustre. En 1992, on le retrouve en compagnie de Fred Frith dans une déclaration d’appartenance. Le disque Nous Autres, sorti sur le label Victo, est l’occasion d’un dialogue électrique dans un bruitisme apaisé, comme un échange de point de vue. Plus tard, mais toujours chez Victo, c’est Otomo Yoshihide qui le rejoint dans une rencontre pétaradante. Avec le Japonais, il enregistre Electrik Toboggan en 2009, avec des improvisateurs de la Belle Province. Parmi eux, le platiniste Martin Trétault, un proche d’ErikM qui est à la fois un fidèle de Yoshihide et de Lussier.

On notera, dans les sorties récentes présentes sur BandCamp, le virulent Dur Noyau Dur, qui collectionne des mots qui écorchent davantage que la musique. Les sons utilisés donnent l’impression d’une énergie vivante et capable d’émotion. On ne sera pas surpris d’apprendre que cet enregistrement vieux de vingt ans a été réalisé au Festival Musique Action de Vandœuvre-lès-Nancy.

Comparé à cela, le Quintette peut paraître bien sage. Au premier abord, à l’écoute d’« Eaux Fortes », avec son tuba fanfaron et son accordéon joyeux, on est loin des griffures des Chants et Danses du Monde Inanimé avec le clarinettiste Robert Lepage qui célèbre une forme d’art brut et de traditions aussi bruitistes qu’imaginaires. Le Quintette est coloré et joyeux, facétieux même lorsqu’on entame « Groove d’Enfer » et son chant inarticulé. Mais dans ce quintette, Lussier est en charge des lignes invisibles qui sous-tendent les relations du reste de l’orchestre. Il brise les mouvements pour en faire des miniatures tranchantes, altère les envolées du tuba pour qu’il redevienne terrestre. Le résultat est étrange, troublant mais diablement attirant, d’autant qu’il y a un soupçon d’humour dévastateur derrière tout ça, malgré la dureté parfois apparente (« Les Cavités du cœur  »).

Ce n’est pas le seul projet atypique de Lussier. On prendra plaisir à découvrir un travail sur la voix, aux formes assez proches de la musique concrète, qui raconte l’histoire du Québec, et même en vocalisant la voix du Général de Gaulle à la guitare électrique dans un exercice assez bluffant.

Il en est de même pour Chronique d’un Génocide Annoncé, une musique du film de Danièle Lacourse sur le Rwanda qui démontre également le talent d’écriture du guitariste. Dans cette partition lyrique pour petit orchestre de chambre, il troque les cataractes de sa guitare pour une musique sensible, pleine de douceur et d’humanité, à l’image de l’intense « Rosace Epines » et ce son d’eau qui coule à la vitesse de l’archet du violon… Lussier est un magnifique metteur en son, comme il existe des metteurs en scène  !