Scènes

Eric Legnini/Lourau

Le trio d’Eric Legnini invitait Julien Lourau au Festival de Commercy, le 27 avril 2007


Où l’on apprend que le jazz du pianiste belge Eric Legnini, pourtant chargé d’une belle énergie et d’un groove communicatifs, n’a pas attiré la foule lors du dernier Festival de jazz de Commercy. D’autant plus dommage pour les absents qu’un invité de marque était venu se joindre à la fête, en la personne du saxophoniste Julien Lourau..

Il y a des jours comme ça où l’on doit en avoir un peu marre d’être né meusien... C’est ce que doivent penser parfois les organisateurs du festival Jazz à Commercy. Cette manifestation, mise en place depuis un bon bout de temps - cette année était celle de la seizième édition - par une petite équipe de passionnés, se déroule au printemps, durant un long week-end, en cette petite ville de l’est d’abord connue pour son château et ses succulentes madeleines (à consommer tièdes, c’est un autre meusien qui vous le suggère).

L’une des trois soirées du cru 2007 proposait pourtant une affiche réjouissante avec le trio d’Eric Legnini précédé d’un fort honorable AART Quartet, formation lorraine aux accents bop où le pianiste Jean-Michel Albertucci avait choisi d’abandonner son instrument fétiche pour une contrebasse ; de plus, le prix d’entrée était raisonnable. Mais malgré cette conjonction de facteurs favorables, le bilan reste mitigé : un public clairsemé, quelques dizaines de personnes au plus. Alors même si l’on peut faire la fine bouche face à l’acoustique approximative de la Salle des Roises - qui évoque un gymnase plus qu’un auditorium- , on reste atterré devant la difficulté d’extraire nos compatriotes du confort cathodique qui les cerne chaque jour un peu plus. Comme si les « cerveaux disponibles » ne l’étaient pas tant qu’on veut bien nous l’expliquer. Mais ceci est une autre histoire…

On connaît bien Eric Legnini, compagnon de route de Stefano Di Battista, Stéphane Belmondo ou encore de Claude Nougaro, et on a pu se réjouir d’une année 2006 plutôt faste au cours de laquelle il a enregistré deux disques frères Miss Soul et Big Boogaloo [Label Bleu - 2006], avec son trio : Franck Agulhon à la batterie, Mathias Allamane ou Rosario Bonaccorso à la contrebasse, augmenté de deux soufflants pour ce qui concerne le second volet : Stéphane Belmondo à la trompette et Julien Lourau au saxophone.

La musique de Legnini, qui revendique explicitement l’héritage de pianistes tels que Phineas Newborn ou Les Mc Cann, présente cette qualité finalement peu courante de rassembler un large public sans faire de concession à la rigueur de mise en place : elle est à la fois mélodique (on peut y voir les influences italiennes du pianiste, ou encore celle d’une mère cantatrice qu’il évoque spontanément au détour d’une conversation) et accessible : on ne trouva ici aucune raison d’être rebuté par un univers complexe exigeant une initiation. Bien au contraire, car chez Legnini, les thèmes originaux donnent souvent l’impression d’être déjà des standards. Comme si on les connaissait déjà avant de les avoir entendus. Non qu’ils soient une sorte de palimpseste ou de reprises masquées de compositions existantes, mais parce que leur signature paraît frappée du sceau d’une fausse simplicité, qui s’échappe naturellement des doigts de leur compositeur et accroche les tympans de l’auditeur sans pour autant les violenter. Et si cette musique n’est en rien innovante (elle n’invite pas à la découverte d’espaces incertains, jamais défrichés), elle déborde d’une énergie communicative imprégnée de groove bienfaisant. Autant de raisons de remplir une salle. Une fois encore, tant pis pour les absents.

Eric Legnini © Patrick Audoux - Vues sur Scènes

C’est dans le répertoire de Big Boogaloo qu’Eric Legnini a largement puisé pour ce concert de Commercy, appuyé par une paire constituée de Mathias Allamane (contrebasse) et de Laurent Robin (batterie), autre compagnon dont il avait déjà croisé la route dans le projet Wonderland de Stéphane Belmondo. Sur scène, le trio joue à l’évidence la carte du plaisir et de l’énergie : le drumming de Laurent Robin, omniprésent, bouillonnant, pousse ses deux acolytes dans leurs meilleurs retranchements. Les unissons de la contrebasse et de la main gauche d’Eric Legnini sont de véritables enchantements et jamais la main droite du pianiste ne semble à court d’imagination. Il y a comme une distillation instantanée d’un sentiment de bien-être qu’on ne saurait reprocher à ses auteurs, bien au contraire.

Après « Trastevere », dédié à un quartier de Rome puis « Nightfall » et « Back Home » de Phineas Newborn - seul emprunt au premier album Miss Soul - Julien Lourau rejoint le trio, tout d’abord au soprano pour « Soul Brother », avant d’empoigner son ténor et de conquérir le public avec un tonique et fiévreux « Mojito Forever ». Un breuvage présenté par Eric Legnini comme une passion commune entre les deux hommes, ce que l’on croira d’autant plus volontiers qu’il évoque forcément Cuba, inspirateur du dernier disque du saxophoniste (Julien Lourau vs Rumbabierta, Label Bleu - 2007), dont il faudra reparler. La partie étant à l’évidence gagnée pour les quatre hommes, ce concert un peu court se termine par une seconde reprise, « Goin’ Out Of My Head », puis par le très funky « Big Boogaloo ». Avant un rappel sur les chapeaux de roue pour un « Honky Cookie » endiablé.

Une belle énergie donc, qui devrait finalement être un encouragement pour l’avenir. De quoi soutenir le moral des organisateurs du Festival de Commercy !