Chronique

Ballaké Sissoko - Vincent Segal

Chamber Music

Ballaké Sissoko (kora), Vincent Segal (cello)

Label / Distribution : Emarcy / Universal

« Tu vas juste chercher où tu peux le plaisir de la musique ». Telle est la ligne de conduite que se sont fixée Ballaké Sissoko (kora) et Vincent Segal (violoncelle) lorsqu’au mois de mai 2009, ils se sont rendus à Bamako pour enregistrer cette Chamber Music d’une incroyable limpidité (No Format !). Le résultat est magnifique : c’est une musique de paix et d’ouverture à l’autre qui se joue devant nous. Les mots, finalement, sont presque superflus ici... On verra un peu plus loin qu’il en va de même pour les musiciens [1]lorsqu’ils créent cette musique, qui vise l’universalité et, pourquoi pas, l’intemporalité.

La rencontre entre ces deux artistes habitués aux expériences variées était a priori prometteuse : malien et fils de musicien, Ballaké Sissoko a notamment travaillé aux côtés de Taj Mahal, mais aussi du compositeur italien Ludovic Einaudi, classé dans l’école minimaliste et élève de Luciano Berio ; Vincent Segal, quant à lui, a une carte de visite impressionnante où se croisent l’Ensemble Intercontemporain, Cesaria Evora, Elvis Costello, Piers Faccini, Sting ou Marianne Faithfull… pour n’en citer que quelques-uns. Et n’oublions pas Bumcello, le duo qu’il a formé avec le percussionniste Cyril Atef. C’est d’ailleurs après avoir assisté à un concert de Bumcello que Sissoko eut l’idée, voici quelques années, d’un album avec le violoncelliste qui était d’ailleurs sur le même label que lui (Label Bleu). « C’était important d’apprendre à se connaître musicalement. Pendant pas mal de temps, on s’est retrouvés chez Vincent à chaque fois que j’étais à Paris, on a aussi donné quelques concerts. On a construit notre complicité petit à petit. Aujourd’hui, quand on joue, on se comprend sans même se parler : un simple regard suffit. On a le cœur ensemble ». Ces propos de Ballaké Sissoko montrent bien que le travail des musiciens les place eux-mêmes au-delà des mots.

Chamber Music, dont la plupart des dix compositions sont signées Ballaké Sissoko (trois sont de Vincent Segal), s’apparente à une conversation pacifiée qu’on écoute avec respect et ferveur [2]. Le disque incite au silence : il ne saurait être simplement entendu, etqui veut en capter la vibration généreuse, accéder au recueillement qu’il finit par imposer naturellement doit l’écouter. Une conversation magique à laquelle viennent çà et là se mêler d’autres instruments tel que le karignan [3] de Demba Camara sur « Ma-Ma FC », le balafon de Fassery Diabaté sur « Houdesti » ou la voix d’Awa Sango sur « Regret ». Il n’est jamais question de confrontation entre la kora et le violoncelle, mais au contraire de chants, délicatement entrelacés dans le silence de la nuit malienne au cours de trois sessions d’enregistrement durant lesquelles les musiciens sont allés tutoyer l’essentiel, la voix de l’âme humaine, qui semble nous parler au creux de l’oreille dans toute sa limpidité.

Plénitude. Tel est très certainement le mot qui définit le mieux cette heure de musique incomparable, véritable musique de chambre contemporaine à mi-chemin entre l’Afrique et l’Europe, invitation au voyage qui ne s’efface pas après la rencontre. Ce disque est beau, tout simplement. C’est suffisamment rare aujourd’hui pour qu’on éprouve le besoin de le souligner.

par Denis Desassis // Publié le 5 février 2010

[1Awa Sango (voix), Mahamadou Kamissoko (ngoni), Fassery Diabaté (balafon), Demba Camara (karignan)

[2Il y a dans cette musique une dimension quasi religieuse.

[3Tube métallique cylindrique strié et muni d’une petite anse, sur lequel on frotte une tige de métal. Il est utilisé par les chasseurs du Mali.