Chronique

Fada

La Caresse du Clown

Marco Codjia (voc), Denis Guivarc’h (as), Xavier Duprat (p, Rhodes), Benoît Lugué (b), Vincent Sauvé (dms)

Label / Distribution : Cristal Records

Avec Soleil Noir, Fada avait éclairé d’un bel oxymore le slam français il y a deux ans, en le raccrochant à son biotope naturel : un jazz baigné de groove libertaire, n’en déplaise à ceux qui voudrait n’en faire qu’un hip-hop sans estomac.

Les musiciens de Fada s’intéressent autant au M-Base qu’à une musique très urbaine, portée à ébullition par la clarté du nouveau venu au saxophone alto, Denis Guivarc’h, compagnon de route de Magic Malik et sideman régulier de Steve Coleman. Il apporte à Fada une stabilité et une voix supplémentaire, un contrechant conversationnel aux textes de Marco Codjia.

La musique s’illustre, dans les tensions électriques tiraillés entre jazz acide et rock élimé, tant par la recherche incessante d’une polyrythmie complexe à l’efficacité immédiate que par une volonté de perpétuer une forme de Spoken Word des origines. C’est ainsi que les sèches paroles du slammeur sont soutenues par les claviers de Xavier Duprat, alter ego des mots dits, et par une section rythmique de feu : le batteur Vincent Sauvé et sa frappe précise, et le bassiste Benoît Lugué, clé de voûte de l’ensemble.

Pour ce deuxième album, La caresse du clown, le quintet rassemblé autour du slammeur explore avec la même puissance et une rigueur réaffirmée les paraboles oniriques et parfois nébuleuses d’un homme à la dérive, entre le soldat et le clown, entre celui qui doit semer la mort et qui ne le peut pas et celui qui récolte le rire et qui ne le peut plus… Au moins jusqu’à l’apparition de « Laura » petite fille étrange et volontaire dont le magnétisme luxuriant de cordes aidera Victor à libérer une parole enterrée, devenue inextinguible.

Dans ce récit étrange, Codjia use de ses allitérations comme de soubresauts rythmiques dans une langue au scalpel. Il s’enroule autour de la basse pesante, entêtante et omniprésente de Lugué et délivre une poésie amère, qui aime visiter avec âpreté les tréfonds et arrière-cours de l’âme humaine. Ses textes écorchés vifs trouvent un écho dans les claviers de Duprat, lequel se partage entre le détachement onirique du piano et les accents électrisés d’un Fender Rhodes qui ajoute à la tension de certains morceaux (« Le grain de sable »). Entre la musique lumineuse et les mots sombres égrenés par un Codjia âpre et avare d’effet naît une fructueuse confrontation ; la musique, très coloriste et toujours dans le sens de la fuite en avant, ouvre une parenthèse sereine au cœur de la tension manifeste avec « Starbuck », (Guivarc’h), mais se fait bientôt incendiaire dans le défouloir en deux parties de « La Crise ».

La caresse du clown peut surprendre par son attachement au format « concept album » caractéristique d’une autre époque ; d’ailleurs on pressent, notamment dans les arrangements de cordes de « Laura », une certaine nostalgie du rock progressif. Il reste cependant l’écrin le mieux adapté aux textes puissants et diaboliquement lucides de Marco Codjia. Grâce à eux, Fada et son jazz ouvert et pulsatile restent un des fers de lance d’un slam francophone qui en a immodérément besoin…