Quentin Ghomari, le temps du jeu
Rencontre avec le trompettiste rouennais qui plaît tant aux orchestres.
Quentin Ghomari est de ces musiciens discrets, très demandés dans de nombreux orchestres mais qui paradoxalement ne cherchent pas les avant-postes. Trompettiste de talent, il exerce dans Papanosh et il est l’un des fondateurs des Vibrants Défricheurs, tout en ayant participé à l’aventure Ping Machine. Tenant d’un jazz qui aime célébrer la tradition sans pour autant se reluquer le nombril, le son de sa trompette est souvent reconnaissable d’emblée par sa clarté et sa pureté. Avec Ôtrium, son premier orchestre sous son nom après un duo avec Marc Benham, il va au bout de ses idées avec deux autres musiciens qui lui ressemblent. Rencontre avec un musicien sincère qui prône la simplicité avant tout
- Quentin, en quelques mots, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis trompettiste, j’ai grandi à Rouen où j’ai eu la chance de m’épanouir avec l’école de jazz fondée par le batteur Christian Garros (l’EIJ), le CNR et le collectif rouennais des Vibrants Défricheurs et plus particulièrement avec le groupe Papanosh. À vingt ans, je suis allé à Paris pour intégrer les classes du CNSM, avide de nouvelles expériences musicales, j’y ai rencontré un éventail de musiciens magnifiques et très différents les uns des autres, qui m’ont permis de découvrir d’autres manières de faire et m’ont ainsi amené à jouer dans des contextes très variés. Ce qui, avec un peu de recul, a contribué, je crois, à définir mon identité musicale plutôt « touche à tout », fortement imprégnée de l’histoire du jazz mais aussi avec un certain goût pour expérimenter sur l’instrument et développer un langage personnel. Une identité qui finalement s’accorde assez bien avec celle du collectif parisien Pegazz et l’Hélicon que j’ai rejoint il y a quelques années.
- Quentin Ghomari
- On a l’image, en regardant votre discographie, d’un musicien de grands formats : chez Leila Olivesi, chez PierreJean Gaucher, évidemment dans Ping Machine ; mais depuis quelques années, on vous retrouve dans des projets plus intimistes, comme votre duo avec Marc Benham. Dans quelle atmosphère vous sentez vous plus à l’aise ?
Je ne crois pas me sentir plus à l’aise dans l’une ou dans l’autre… Ce sont surtout les rencontres qui m’amènent à jouer dans tel ou tel format. Le grand format est en tout cas un endroit privilégié pour faire des rencontres musicales et humaines et générer de nouvelles aventures musicales ; c’est donc assez naturellement qu’à mon arrivée j’ai joué dans plusieurs grands formats (l’Oreille cassée, Ping Machine, Gil Evans Paris Jazz Workshop, Surnatural Orchestra, Dal Sasso Big Band…). Mais j’ai toujours simultanément beaucoup joué en plus petits formats (Papanosh, Flouxus, Lande, Big Four+1…). Passer de l’un à l’autre est important pour moi : il faut à mon sens une certaine humilité et beaucoup d’écoute pour jouer en grand format, de la fougue et de la spontanéité pour jouer en petite formation. J’ai l’impression de manquer de quelque chose si je fais trop l’un ou trop l’autre…les deux me semblent complémentaires et m’aident à avancer et à développer mes idées et mon langage musical.
Mais c’est aussi vrai que j’aspire à plus de mise à nu et de prise de risques depuis quelques temps, peut-être l’approche de la quarantaine ! Un certain besoin d’expression personnel après bon nombre d’années où j’ai tenté de servir du mieux que je pouvais la musique des autres et aussi, je crois être dans un moment d’acceptation où j’essaie de faire avec ce que j’ai et ce que je suis, en acceptant ce que je n’ai pas ou ce que je ne suis pas… et ça pour le meilleur et pour le pire !
- Quentin Ghomari © Franpi Barriaux
- Que retirez-vous de votre expérience dans Ping Machine ?
C’étaient de très beaux moments avec Ping Machine. Très enrichissants pour moi. Pas toujours simples aussi, car la musique pouvait être parfois contraignante : très écrite, complexe et laissant peu de place à l’improvisation. Elle était très écrite mais pas figée et il fallait du temps pour la faire sonner, car elle demandait à chacun de l’investir pleinement pour qu’elle vive, mais ça valait le coup.
C’était un beau groupe, car chacun faisait en sorte de donner le maximum pour faire sonner cette musique. Je me rappelle quand Fred Maurin m’avait proposé de remplacer Sylvain Bardiau : j’étais allé les voir à l’Olympic et j’avais pris une sacrée gifle ! Plusieurs fois j’aurais aimé m’extraire du groupe pour être assis devant et sentir à nouveau cette puissance. Je retiens un groupe, un son d’ensemble, plusieurs énergies très différentes au service d’un son commun. Et aussi la ténacité, celle de Fred d’avoir toujours cru et d’avoir tout fait pour faire avancer son groupe sans jamais mettre de côté ses idéaux et malgré les difficultés qu’incombe la gestion d’une grande formation, qui plus est jouant une musique exigeante et tout sauf conformiste. Une très belle aventure…
- Vous êtes également membre du collectif des Vibrants Défricheurs, et notamment de Papanosh. Pouvez-vous nous parler de votre histoire dans le collectif ?
Le collectif des Vibrants, c’est avant tout une aventure de copains lycéens, je me sens chanceux d’avoir été là à ce moment entouré de ces belles âmes : que de beaux moments, concerts, créations, découvertes grâce à cette équipe ! Depuis mon arrivée à Paris, n’étant plus implanté localement, je suis moins présent dans le collectif, même si avec Papanosh je garde toujours le contact.
J’ai toujours un immense plaisir à revoir tous ces membres et c’est à chaque fois magique de découvrir une nouvelle création vibrante. Papanosh c’est véritablement la famille, nous traversons les étapes de la vie ensemble : un groupe qui a vingt ans, ce n’est pas rien… et c’est une vraie chance ; je crois que nous en avons tous conscience dans le groupe, et finalement c’est comme si nous vivions nos autres expériences musicales pour mieux nous retrouver après. Bref c’est un lien fort et durable et ça fait du bien dans une période où tout va vite.
- Quentin Ghomari © Franpi Barriaux
- Parallèlement, vous êtes très investi dans Pegazz & l’Hélicon. Pouvez-vous nous en parler ?
Suite à la nomination de Fred Maurin à la direction de l’ONJ, le collectif Pegazz & l’Hélicon s’est restructuré autour de Julien Soro, Raphaël Schwab (membres de Ping Machine). C’est alors assez naturellement que j’ai rejoint le collectif : j’avais joué avec Ping Machine, puis Big Four+1 et je venais de sortir Gonam City sur Neuklang, j’étais surtout très heureux de collaborer et échanger avec Julien Soro et Raphaël Schwab, amis de longue date. Paul Jarret, Grégoire Letouvet nous ont rejoints, puis Marc Benham, et prochainement Delphine Deau.
Le collectif Pegazz & l’Hélicon est une drôle de famille, car composé de musiciens assez différents, mais qui avancent ensemble pour proposer une identité musicale multiple avec à la fois un vrai goût pour la tradition du jazz mais aussi avec un décalage par rapport à cet héritage, avec une certaine contemporanéité dans le son. Avec cette restructuration, c’est un collectif qui est en phase de seconde jeunesse et ce regroupement est très enrichissant pour nous tous… Nous partageons ensemble et nous essayons de développer ce collectif avec un langage contemporain mais qui ne soit pas forcément dans une radicalité. Nous avons fait notre deuxième festival en juin dernier, j’ai participé et assisté à tous les concerts et quand je pense au panorama musicale de Pegazz, je dirais qu’il y a de la tendresse, de la malice, du méditatif, de la fougue, de l’énergie, bref de quoi faire de très belles choses…
je crois avoir toujours été charmé par des écritures maladroites et spontanées faites d’éléments disparates
- Avec Papanosh, vous avez croisé Gueorgui Kornazov, avec qui vous avez joué par ailleurs en orchestre. Avez-vous le même rapport que lui à la musique écrite occidentale ?
J’ai eu le plaisir de jouer avec Gueorgui Kornazov au sein de Papanosh, il avait remplacé Fidel Fourneyron sur quelques concerts (Disque Oh Yeah oh !) et à mon tour j’ai remplacé Aymeric Avice dans sa formation BrassSpirit, histoire de chaises musicales… Je sens une proximité avec Gueorgui, c’est vrai, à la fois esthétique - notre goût du son acoustique et brut -, un plaisir commun à jouer en grande formation et à jouer des lignes écrites… C’est un musicien incroyable, d’une énorme expressivité, très inspirant, notamment dans sa manière de faire vivre la musique écrite autant que celle improvisée : tout ce qui sort de son trombone vit intensément…
En ce qui concerne son rapport à la musique écrite occidentale, je n’ai pas assez échangé avec lui sur ce sujet pour en discuter, mais il m’a fait redécouvrir la musique de Kenny Wheeler que j’avais un peu oublié. Je suis sensible - comme lui, il me semble - à une certaine « science » de l’écriture, et en même temps je crois avoir toujours été charmé par des écritures maladroites et spontanées faites d’éléments disparates et finalement amenant à une forme de réécriture spontanée collective ; je crois que ça me plaît tout autant… bref, ça dépend avec qui on est sur le moment.
- Vous nous présentez un nouvel orchestre, le trio Ôtrium. On y sent l’influence notable de Dave Douglas… Quelles sont vos influences majeures ?
Dur de répondre à cette question, peut-être m’aurait-il été plus aisé de répondre il y a dix ans où je traversais des vraies périodes de blocage geek sur des maîtres. J’ai l’impression que maintenant les influences vont et viennent mais je suis moins dans une forme de transfert qu’avant. J’essaye d’avoir plus de recul pour ne pas m’y perdre… je pense souvent à cette phrase qu’avait dite Patrick Moutal (professeur de musique indienne au CNSM) et qui m’avait marqué : « Rien ne pousse à l’ombre d’un grand arbre »…
Mais s’il fallait répondre… évidemment Dave Douglas, Shane Endsley, Ambrose Akinmusire, Avishai Cohen et puis les grands tontons Miles Davis, Booker Little, Lee Morgan, Johnny Coles, Kenny Dorham, Freddie Hubbard, Don Cherry, Alan Shorter…pour ne citer qu’eux. E puis en Europe, Enrico Rava, Arve Henriksen, Yoann Loustalot… c’est beau tout ça….
- Quentin Ghomari © Franpi Barriaux
- Pouvez-vous nous parler de ce trio et de ses musiciens ? Comment avez vous rencontré Yoni Zelnik ?
Quand j’ai réfléchi à ce trio, je voulais de la fraîcheur, de nouveaux musiciens, et me laisser porter par mon intuition. Je cherchais à faire une musique pure sans effets, très acoustique, où la fragilité de la formule ne pourrait fonctionner qu’avec des musiciens focus et tenaces. Des gars qui ne lâchent pas le morceau. Que ce soit Yoni Zelnik ou Antoine Paganotti, nous n’avions quasiment jamais joué ensemble, mais je suis allé les écouter plusieurs fois et j’ai été très vite séduit par leur plongée dans la musique, leur musicalité à tout instant, et leur intégrité.
- Ôtrium est il une histoire de confinement ? Comment avez vous vécu cette période ?
Evidemment que le confinement est passé par là ! Le disque ne se serait pas appelé comme ça sinon, et la musique aurait été certainement très différente… Il y avait un besoin d’utiliser ce temps étiré, de laisser les idées qui me venaient flotter dessus, et laisser faire… Ce n’était pas réellement prémédité, ce disque. Petit à petit, l’histoire s’est faite ; ça fait aussi partie des bonnes choses de ce confinement. Souffler, prendre son temps…
Avant le confinement j’ai toujours beaucoup joué et multiplié les rencontres musicales dans des univers assez différents… à la fois c’est une chance qu’offre ce « métier » de musicien : être au contact de gens très différents, découvrir différentes approches, différents publics, c’est intense et enrichissant et en même temps ce confinement m’a permis de lever un peu le pied et de prendre conscience de la nécessité de laisser à l’esprit le temps de divaguer afin de nourrir quelque chose de plus personnel.
- Quels sont vos projets à venir ?
En novembre, nous avons enregistré un nouveau disque avec Papanosh sur les textes de Jim Harrison. Je suis très heureux et impatient de nous retrouver tous les cinq, sans invités pour ce futur répertoire, ça faisait longtemps (le dernier en quintet, Chicken in a Bottle, date de 2017). Des disques à sortir avec le nouveau tentet de Laurent Cugny, avec le septet de Leila Olivesi, et un enregistrement avec le Brass Spirit de Gueorgui Kornazov.
Quelques beaux concerts à venir avec le quintet de Pierrejean Gaucher sur la musique d’Erik Satie, l’ONJ et le spectacle « Dracula », une deuxième saison JMF avec Gonam City. J’ai également d’autres envies, mais rien de très défini encore… alors je laisse le temps faire son chemin…