Chronique

Fatrassons

Volets ouverts

Sarah Clenet (b, voix, elec, objets), Rosa Parlato (fl, mélodica, voix, elec, objets)

Label / Distribution : Le Petit Label

On entre dans ce disque un peu comme par effraction. A la façon d’un promeneur qui pousserait la porte d’une grille rouillée et grinçante avant d’apercevoir, là-bas, au bout d’une allée à défricher, une vieille demeure peut-être à l’abandon. Que faire ? Repartir en se disant qu’on n’est pas chez soi ? Ou bien, piqué par la curiosité, aller un peu plus loin et ouvrir d’autres portes car une multitude objets poussiéreux ne manqueront pas de raconter leurs histoires ? Sans oublier ce petit frisson de l’inconnu auquel il est si difficile de résister.

Sarah Clenet et Rosa Parlato, unies dans un duo appelé Fatrassons, sont les hôtesses singulières d’une habitation qui ne l’est pas moins et dont elles ont souhaité laisser les Volets ouverts. Toutes deux sont des musiciennes actives sur la scène contemporaine et acousmatique du nord de la France, à Lille en particulier : si la première est contrebassiste et la seconde flûtiste, elles laissent ici se faufiler leurs voix, ainsi qu’une multitude de sons électroniques et différents objets à l’identité non révélée, au cœur de l’univers bruitiste et poétique qu’elles inventent, comme d’autres peindraient un tableau non figuratif. Par petites touches projetées, tout en suggestion : celles d’une corde, frottée, pincée, frappée, qui grince ou gronde ; celle encore d’une flûte qui frissonne dans un souffle assourdi, ou au contraire virevolte comme un oiseau ; ou bien celle d’une vocalise habitée d’un brin de folie passagère (évocation d’une ancêtre un brin dérangée ?), d’une voix métallique nasillant dans un tuyau ou l’embouchure d’un instrument à vent.

Fatrassons porte bien son nom. Voilà une formation s’exprimant dans un idiome presque dépourvu de notes au sens le plus musical du terme : on y entend très peu de mélodies, et lorsqu’une d’entre elles vient à surgir elle est minimaliste, en suspension. Car Volets ouverts est aussi et surtout un disque qui se singularise par sa faculté d’assembler des objets sonores disparates pour composer tout un cabinet de curiosités. Comme s’il s’agissait d’ouvrir une malle aux trésors sans y être autorisé, de regarder par le trou de la serrure, de déloger un petit animal en poussant la porte d’un grenier, ou de provoquer l’envol d’une nuée de piafs en ouvrant un volet. À moins que l’intrusion du visiteur n’ait dérangé quelque esprit en maraude dans l’une ou l’autre pièce. C’est un disque pour curieux, une proposition de découverte pour les amoureux de toutes ces petites choses qu’on a souvent sous la main et qu’on ne voit pas toujours. Fatrassons ou la vie cachée des objets qu’on croit inanimés.

Pour ce disque, le Petit Label a mis de la couleur sur son traditionnel cartonnage : la façade de la maison est bleue, ses volets noirs sont fermés au recto et ouverts au verso, laissant deviner une lumière intérieure symbole de vie. Les quinze fenêtres (une par composition-exploration) sont toutes identiques… à l’exception d’une seule, qui montre un œil (le nôtre ?) qui observe, comme une invitation à en savoir un peu plus.

On notera la singularité de la quinzième et ultime fenêtre, dont l’esthétique étale et le parti-pris de distanciation ne sont pas sans évoquer les codes du groupe Art Zoyd, dans le studio duquel ce disque a été enregistré à Valenciennes. Le chant doux et lancinant de la contrebasse jouée à l’archet tisse une toile où vient se poser la voix disant un texte bilingue, comme une prière, d’abord en italien puis en français. Il est question d’un homme, une sorte de funambule, qui marche sur un fil, les toits, les nuages, les autoroutes, l’eau, les touches, les cordes ou l’horizon. On n’en saura pas plus… Bruits de clochettes, tic-tac d’un réveil, le rêve s’évanouit.

Sarah Clenet et Rosa Parlato ont eu raison de laisser leur maison entrouverte et d’en dévoiler sans tapage les charmes à la fois mystérieux et attirants. Leur musique-bruit captive, intrigue et ne s’en laisse pas conter. Elle est un conte à elle seule.