Festen
Family Tree
Damien Fleau (ts, ss), Jean Kapsa (p), Oliver Degabriele (b), Maxime Fleau (dms), Alison Galea (voc).
Label / Distribution : Auto Productions
Bien joué ! Une fois encore, Festen trempe sa musique dans un brouet appétissant où mijotent des ingrédients à forte teneur rock et qui - sacrilège ! - se permet le binaire, au risque d’encourir les foudres des oreilles pointilleuses, promptes à lui reprocher des inspirations non orthodoxes. Sur son premier album, le quartet affichait déjà des amours impures via des inspirations où les grands seigneurs du jazz croisaient le chemin de Portishead, Nirvana, Neil Young, Led Zeppelin ou Pink Floyd. Dont acte.
Avec Family Tree [1], deuxième album du groupe, donc (auquel on peut ajouter un live au Périscope de Lyon disponible en téléchargement sur le site), Jean Kapsa (piano), Damien Fleau (saxophones), Maxime Fleau (batterie) et Oliver Degabriele (contrebasse) font mieux que confirmer tout le bien qu’on pensait déjà d’eux - ils affirment leur maturité et leur personnalité avec un disque dont la qualité première réside dans un alliage de sobriété et de densité. Leur talent individuel aurait pu donner lieu à des épanchements qu’on ne leur aurait d’ailleurs pas reprochés ; or, c’est presque le contraire ici : le groupe est économe de ses chorus - c’est même sa marque de fabrique - et le jeu collectif qui faisait d’emblée sa singularité est encore plus resserré. Sa cohésion/fusion lui donne force d’évocation qui dissipe les interrogations d’usage chez ceux qui attendent les groupes au tournant du deuxième disque. Plus remarquable encore est la retenue du propos - comme s’il s’agissait d’épurer la musique en la délestant de ses notes inutiles - ainsi que sa spiritualité ; celle-ci est à son comble dans une composition-chair de poule, « Grandfather’s Bed » où la musique, très solennelle, comme en suspension, se fait suggestive : le souffle granuleux du saxophone ténor devient murmure sur les accords plaqués par un piano-concentré d’émotion.
Tout l’album est parcouru d’un frisson, celui que suscitent les chants entêtants qui vont droit au but. À l’exception d’« In motion », tiré de la bande originale du film The Social Network de David Fincher et d’« All Apologies », une reprise de Nirvana, toutes les compositions sont signées du groupe qui – cerise sur le gâteau – expérimente un nouvel instrument sur « Alone With The Driver » : la voix d’ Alison Galea y instaure un climat sensuel et brumeux.
Family Tree, c’est un peu plus de 45 minutes de musique tendue, vibratoire, à la saine et contagieuse énergie. Puissance et concision lyrique chez Damien Fleau, enluminures hypnotiques et solaires du jeu de Jean Kapsa [2], groove musclé de la paire Olivier Degabriele/Maxime Fleau… Ainsi pourrait-on résumer les attraits d’un groupe qui séduit par sa belle unité mais aussi par une gravité qu’on peut comprendre comme l’expression d’une vision lucide du monde où nous vivons et d’une quête d’un ailleurs moins superficiel. Pour leur belle énergie, pour leur volonté affichée de repousser les cloisons sans pour autant provoquer l’effondrement d’une si belle maison, pour leur faculté d’attirer vers eux un autre public et lui permettre ainsi de découvrir ce monde qu’est le jazz à lui seul, pour toutes ces raisons on peut une fois de plus tirer son chapeau aux quatre musiciens de Festen et recommander vivement l’écoute attentive de Family Tree.