Scènes

Feuillets d’automne au Hot Brass

Compte rendu de trois concerts au Hot-Brass d’Aix-en-Provence.


Sarah Hanahan / Joe Farnsworth quartet © Patrick Martineau

Jean-Paul Artero a rouvert un Hot Brass à la périphérie d’Aix-en-Provence. « Rouvert », car il avait monté un club du même nom dans un autre quartier excentré, après celui, fameux, de La Villette à Paris. A partir de l’automne 2023, le nouveau club aixois prend sa vitesse de croisière en alignant des musicien·ne·s de classe internationale qui trouvent dans ce lieu un bel écrin (espace scénique et son d’une rare perfection) pour s’exprimer, hors des circuits institutionnels. Retour sur trois concerts.

Thomas Ibanez Quartet © Elodie Attia

Thomas Ibanez quartet feat. Jeb Patton
Le saxophoniste ténor Thomas Ibanez essaie, bon an mal an, d’organiser de manière récurrente des tournées européennes avec des musiciens américains. En 2023, il invite le pianiste new-yorkais Jeb Patton à s’exprimer en sa compagnie, recrutant pour l’occasion le contrebassiste Fabien Marcoz et le batteur Germain Cornet. Les standards défilent avec conviction et un respect rare pour le répertoire. Une livraison de « Cooking At Continental » de Horace Silver permet au pianiste américain de dévoiler sa maîtrise de l’histoire du piano jazz, en déployant une introduction en jeu stride et en parsemant son solo de traits be-bop. Il se plaît à se mettre au service du son d’ensemble, permettant au saxophoniste de livrer des phrases profondes, entre douceur à la Dexter Gordon et rage à la Sonny Stitt. Il a proposé au quartet des thèmes trop rarement interprétés de Jimmy Heath, qu’il a accompagné dans les dernières années de sa vie.

Aimee Allen Trio

Aimee Allen Trio
La chanteuse américaine Aimee Allen est une habituée des scènes européennes. C’est pourtant là son premier passage dans la région provençale. Son set aligne des versions de standards rarement chantés comme « Little Sunflower », de Freddie Hubbard, et ses propres compositions aux accents post-modernes, où elle sait intégrer des éléments d’une tradition du jazz modal avec des accents pop et soul. Elle met son sens poétique dans l’écriture musicale et dans celle des paroles, au service d’un jazz ample et intime. Elle a reçu un prix de la National Association for the Advancement of Colored People pour son engagement artistique au service de la cause afro-américaine. Son morceau « Night Owl » a tout d’un standard, ouvrant à ses musiciens de belles pistes d’improvisation, tout en proposant des paroles jouant sur le double sens de ce qu’est censé être un « oiseau de nuit »…
Elle joue de sa voix mezzo-soprano, faussement fragile, pour inciter ses partenaires musicaux à emprunter des chemins d’improvisation où prime l’émotion. Le trop rare pianiste Karim Blal saura se fondre avec une douce conviction dans ce programme, dispensant de-ci de-là des trilles gorgés de swing. Quant à François Moutin, compagnon de route de la chanteuse pour qui il a d’ailleurs écrit un morceau, il livrera l’une de ses performances dont il a le secret - à partir d’une approche trigonométrique de la touche, nous avait dévoilé un jour ce docteur en sciences physiques -, sans jamais se départir d’un grand sens du collectif.

Sarah Hanahan © Patrick Martineau

Sarah Hanahan / Joe Farnsworth Quartet
Le batteur new-yorkais Joe Farnsworth vient souvent en Europe, à l’invitation du pianiste Olivier Truchot, avec des valeurs confirmées et/ou montantes du jazz américain. Cette fois, c’est la saxophoniste Sarah Hanahan qu’il a conviée. Cette jeune femme est l’une des gardiennes de la flamme bop. Elle fait le bonheur des aficionados du Smalls à New-York, à l’occasion de sessions toutes plus incendiaires les unes que les autres. Sur la scène aixoise, elle confirme un jeu « in », d’une verticalité confondante. Farnsworth, héritier d’une tradition façon Art Blakey, connaît le répertoire du soir sur le bout de ses baguettes et balais. Le premier set est incandescent. Le début du second set est un hommage à Coltrane. L’interprétation de « After The Rain » est d’une force émotionnelle rare. Le groupe enchaîne sans crier gare avec un « Olé » au groove d’enfer. Les solistes utilisent toutes leurs ressources modales pour en restituer l’essence hispanique. C’est pourtant au contrebassiste que sera dévolue la part du lion dans son solo, avec des séquences aux effluves gnawa et « bachiennes » amenées avec une aisance confondante. Et la saxophoniste d’achever le public avec une évocation de « A Love Supreme » en coda. Un grand moment de jazz authentique donc, populaire et exigeant.