Chronique

Africa Express

Expérience

Jacques Ponzio (p), Jean-François Merlin (b), Patrick Gavard-Bondet (g), Alain Venditti (ts, ss), Nicolas Aureille (dm)

Label / Distribution : ACM Jazz Label

La bande à Jacques Ponzio opère un retour jubilatoire dans ce nouvel album d’Africa Express. Le pianiste/claviériste marseillais a convié ses compères pour une session d’enregistrement conjuguant délices impressionnistes façon Erik Satie, menace bebop et mélopées africaines. Avec une simplicité assumée sans fausse modestie, cet éminent pilier d’un jazz humaniste dans la cité phocéenne signe les compositions d’un disque de jazz résolument contemporain, combinant sens du tragique et appel à la danse.

D’emblée, « Rio de Oro » propulse l’auditeur aux confins du Sahara Occidental, avec un drive de charleston absolument gnawa : le batteur Nicolas Aureille joue ce blues nord-africain comme un appel à la transe émancipatrice avec un respect qui force l’admiration, tandis que, au saxophone, Alain Venditti jongle avec les codes de l’afrobeat, renforcé par les incursions rock du guitariste Patrick Gavard-Bondet.
Et que dire de la somptueuse ballade « Moussa Kakena », si ce n’est qu’elle est simplement « tubesque » ? Une chanson à susurrer à l’oreille d’un amour, dans le doux balancement d’un coucher de soleil en Casamance… La contrebasse de Jean-François Merlin fond de plaisir cependant que le piano fait monter la température tout en soufflant un air frais du soir. Un peu à l’instar de la douceur « Hannah Malinké », dont le balafon ivoirien sublime le côté comptine pour enfants.

Bien évidemment, le propos se fait militant aux détours d’un « Soweto » aux effluves d’Abdullah Ibrahim : on se doute que le pianiste sud-africain est l’une des références majeures du « leader », dans une progression harmonique faussement bluesy, magnifiée par un ostinato de contrebasse joué à l’archet sur le pont, manière de rappeler les luttes pour la dignité qu’ont mené les femmes et les hommes de ce township, au rythme d’une de ces manifestations dont ce peuple a(vait) le secret.

Afrique fantasmée et bien réelle pourtant, ou inversement : les titres cassent les frontières géographiques et musicales, à l’instar de ce « Sakr » (Le Faucon Sacré du désert, métaphore d’une vue perçante comme celle du griot… comme celle du pianiste ?), qui nous convie à survoler les espaces infinis du Continent Noir, voire à passer l’Atlantique via les volutes de soprano « wayneshortériennes » du saxophoniste.
La leçon de Monk (dont Jacques Ponzio est un éminent spécialiste et au sujet de qui il a récemment commis un ABCédaire…) a été retenue : le jazz est une sourde menace capable de tout dévaster sur son passage. A cet égard, le titre « Stair Spirit » a bien tout d’un standard de celui que l’on appelait le « grand prêtre du bebop », avec ses cassures rythmiques, son tempo endiablé et ses mélodies imparables. Avec évidemment l’Amour comme valeur suprême : l’ode affectueuse « Sylvie’s Song », en hommage à la compagne du compositeur touche-à-tout, ouvre le disque bien plus qu’il ne le conclut et ne donne qu’une envie : y retourner, et vite !