Chronique

Champian Fulton

Birdsong

Champian Fulton (p, voc), Hide Tanaka (b), Fukushi Tainaka (dm), Stephen Fulton (tp), Scott Hamilton (ts)

Label / Distribution : Champian Records

Elle assure méchamment, la Fulton, dans cet hommage à Charlie Parker. Elle prétend s’être inspirée des enregistrements plutôt que de la lettre exacte du génie dont l’année 2020 célébrait le centenaire.
Ce côté canaille glamour, un peu braqueuse, cette fille du Sud établie dans la Grosse Pomme en fait un atout. Sa voix nasale, appuyée, franche, déploie un falsetto charmeur sur des envolées de swing, avec parfois un voile mélancolique… sans jamais sombrer dans la vulgarité.
Tout se passe comme si elle esquivait le tempérament (d’aucuns diraient la justesse) pour rechercher une empreinte lyrique authentiquement blues, provoquant chez l’auditeur.trice une impression d’étrangeté dans l’univers familier des standards. Ainsi de son duo avec Scott Hamilton sur le thème de fin de « Star Eyes » : à moins que ce saxophoniste emblématique d’un jazz « trad » ne joue faux lui aussi (ce qui est d’une improbabilité absolue), on conçoit que son jeu avec les codes de l’exactitude musicale est sa marque de fabrique lorsqu’elle chante.

Et qu’est-ce qu’elle swingue au piano ! Elle convoque l’esprit sinon la lettre d’un Erroll Garner, avec ce subtil décalage main gauche qui fond dans la bouche comme les meilleures douceurs de funk. Sa sensibilité pianistique est orchestrale. Sa main droite, aérienne, a la légèreté de l’oiseau, voletant par-delà les grilles harmoniques pour mieux se poser sur les fils que forment les lignes des portées. Elle atteint des phrasés dignes d’un Bud Powell, notamment dans des échanges avec le batteur sur « All God’s Chillun Got Rhythm ». Même dans la vélocité, elle sait raconter des histoires qui fleurent bon la légende de ses prédécesseurs. Plus : par son sens de l’espace, elle donne le désir d’aller titiller le dance-floor, créant un doux balancement sur laquelle on l’imagine osciller du bassin - car son jeu part de là, vraiment. C’est une tueuse à la sensualité exacerbée.

Elle convie ici encore une fois son père, qui la porta sur les fonts baptismaux du jazz en lui passant en boucle l’album « Charlie Parker with Strings » alors qu’elle était encore dans le ventre de sa mère ! Redoutable bugliste que ce compagnon de route de Clark Terry. Elle ne pouvait que l’embaucher pour cet album hommage à Bird : Papa Fulton est l’homme de la situation. Elle se frotte avec tant de pudeur aux incunables parkériens qu’elle minaude comme une gamine effarouchée dans l’interprétation en trio de « Quasimodo ».

Elle est en tout cas servie dans cet album comme sur les précédents par une rythmique hors pair qu’elle a recrutée il y a une bonne dizaine d’années : les Japonais exilés à New-York Hide Tanaka (un contrebassiste à l’élégance folle, qui gère le son comme personne) et Fukushi Tainaka (batteur redoutable d’aisance rythmique et de couleurs authentiques). N’empêche, c’est elle qui sait les titiller, sollicitant leurs réponses, appelant leurs solos, dans une complicité rare dont on espère qu’elle accouchera d’autres pépites du même acabit. Le choix de terminer le disque avec « Bluebird » lui donne l’occasion de porter une forme d’estocade bien sentie à l’approche bien trop souvent patriarcale du répertoire parkérien, prouvant sur cette forme présumée simple mais ô combien risquée en douze mesures, qu’elle est une jazzwoman accomplie qui connaît ses classiques et sait les transcender.