Chronique

Juliette Boisnel et Pierre-Albert Castanet

Frank Zappa : L’un et le multiple

Presses universitaires de Rouen et du Havre

A l’initiative de Juliette Boisnel et de Pierre Albert Castanet, une dizaine d’universitaires et de musiciens ont été invités en 2014 par l’université de Rouen à décortiquer l’œuvre de Frank Zappa. Sous-titré L’un et le multiple, cet ouvrage collectif propose une analyse des différentes facettes du facétieux moustachu. Les premières contributions se concentrent sur la musique « sérieuse » du compositeur : ses influences, sa relation avec la musique de Varèse notamment. Le disque Lumpy Gravy, une de ses premières incartades dans ce monde des musiques qui « résistent » [1] à l’auditeur y est passé au peigne fin. Sa démarche en matière de composition est ensuite longuement étudiée : la technique du collage, un élément très caractéristique de son style, son goût pour la manipulation sonore, la réactualisation constante d’anciennes compositions. Le Zappa cinéaste n’est pas mis de côté. Deux de ses films offrent dans la dernière partie du livre un support pour analyser le personnage sous l’ange du chef d’orchestre, du musicien ou de l’homme de divertissement. Le livre permet aussi de découvrir des photos inédites, datant des dernières années de sa vie. Le compositeur et cinéaste Henning Lohner a offert sa collection de clichés. Sur nombre d’entre elles, Zappa dirige ou travaille avec l’Ensemble Modern, son dernier groupe, celui qui interprétera de la meilleure des manières sa musique sérieuse. Il y apparaît souriant, heureux et on ressent combien il était important pour lui de faire entendre cette musique-là.

Ce livre ravira les amateurs avertis qui souhaitent approfondir des notions déjà connues autour de ce musicien de génie. Une première initiation à son œuvre [2] ainsi que l’écoute préalable de la conséquente discographie me paraissent nécessaires pour apprécier pleinement toutes les analyses. Heureusement, les admirateurs de Zappa sont des boulimiques de son œuvre. Quel régal donc à la lecture de la grande majorité des articles ! Celui sur sa filiation avec Edgard Varèse se lit comme une enquête où la véracité des propos de Zappa sur son idole de jeunesse est passée au crible de la vérité historique. J’ai éprouvé également énormément de plaisir en me plongeant dans l’étude très documentée sur l’histoire du divertissement aux USA et l’inscription du travail cinématographique de Zappa dans cette lignée.

Mention spéciale également au travail d’inventaire autour de ses explorations sonores et de la place des synthétiseurs dans la musique du guitariste. Tous ces articles m’ont permis d’appréhender de nouvelles facettes du musicien et de lire des analyses extrêmement pertinentes. Les notes de bas de page m’ont régalé. Elles ne sont pas à négliger puisqu’elle complète le propos du livre, souvent avec des éléments d’ordre historique et sont la porte d’entrée vers une très riche bibliographie d’articles ou d’études déjà publiés sur Zappa.
Le livre a aussi rempli un objectif très simple : il m’a donné envie d’aller réécouter les œuvres disséquées à l’aune de ses nouveaux éléments. Et cela vaut tout l’or du monde.

par Jean-François Sciabica // Publié le 2 décembre 2018

[1Citation de Pierre Boulez mentionnée dans le livre.

[2L’autobiographie Zappa par Zappa, en français dans le texte, est une très belle porte d’entrée dans son univers. Elle est malheureusement disponible uniquement d’occasion à ce jour. Guy Darol a également publié une biographie de l’artiste en 2016.