Chronique

Guillaume Kosmicki

Musiques savantes de Ligeti à la fin de la Guerre Froide (1963-1989)

Label / Distribution : Le Mot et le Reste

Auteur en 2012 du premier tome de Musiques savantes, sous-titré De Debussy au Mur de Berlin (1882-1962), Guillaume Kosmicki propose chez son fidèle éditeur Le Mot et le Reste la suite de cette aventure du XXe siècle vue par le prisme des œuvres et des compositeurs. De Ligeti à la fin de la Guerre froide s’intéresse au même rapport intime entre l’œuvre, son auteur et son cadre historique, et reprend le fil de l’histoire là où l’auteur s’était arrêté - dans un monde bipolaire excité par les prémices de la pop culture et guidé par une foi quasi aveugle en une science éclairée et toute puissante, débarrassée de la barbarie. C’est ainsi que dans la première partie du livre, non sans avoir contextualisé à nouveau les enjeux politiques et culturels des années 60, Kosmicki présente des artistes en rupture avec l’ancien monde qui tentent, dans la mondialisation naissante, de s’affranchir des unités de temps et de lieu. Quitte à chercher l’inspiration dans la musique ancienne, à l’autre bout du monde ou même au cœur des machines.

Certains sont à la recherche de nouveaux langages, comme Terry Riley ou Luigi Nono. D’autres se servent de leur assise populaire pour tenter toutes les expérimentations. Les Beatles ou Pink Floyd figurent à leur juste place entre Pierre Henry ou LaMonte Young. Quelques-uns enfin se désaffilient du sérialisme ambiant pour aller fouiller au cœur des sons (Gérard Grisey, dont l’auteur de Musiques électroniques, des avant-gardes au dance-floor martèle à juste titre l’importance).

L’aspect le plus saillant de cette présentation très documentée est la mise en évidente qu’à travers les destins individuels se dessinent des mouvements et des tendances globales. Parmi ceux-ci, le retour à une forme de spiritualité fait office de marqueur central. Il est parfois mis en avant chez John Coltrane (et son incontournable A Love Supreme) et Arvö Part (Tabula Rasa). Cette spiritualité sait être abstraite afin de ne pas s’attirer les foudres matérialistes du stalinisme déclinant chez Górecki, et plus encore chez Sofia Goubaïdoulina (Offertorium). Voici tracés les contours d’une fin de XXe siècle où les graines d’un XXIe étreint de liturgie sont prêtes à germer. Mais aussi où, de manière plus réjouissante, une forme de diversité de genre ou d’origine apparaît au grand jour.

En séparant son livre en deux parties, Kosmicki explore profondément l’ensemble des genres, des chapelles et des courants musicaux qui ont bâti le siècle. Il y a d’abord 1963 - 1973, période, caractérisée par une effervescence labyrinthique et révolutionnaire, jusqu’à la crise économique qui fait basculer le rapport de force culturel vers la culture de masse. Puis, de 1973 à 1989, la crise systémique met en place, dans la musique savante, un tiraillement entre le désenchantement et l’affranchissement lié à la libre circulation des idées et la proximité technologique. On retrouve ici quelques figures présentes dans le premier tome, dont Ligeti, envisagé comme une sorte de pivot, mais aussi Berio ou Stockhausen. Dans cette tranche d’histoire coincée entre la fondation d’un Mur et sa désagrégation, on reconnaît surtout nombre d’artistes qui ont fait vœu d’éradiquer toutes formes de barrières stylistiques. Ainsi Frank Zappa (dont le choix d’Uncle Meat peut sembler iconoclaste et pertinent à la fois), ou encore John Adams et son saisissant Nixon In China. On pourra s’étonner de ne pas trouver ici tel ou tel nom, celui d’Anthony Braxton notamment, mais les choix restent d’une grande cohérence. Un outil d’une rare valeur pour comprendre et mettre en perspective la multitude du XXe siècle.