Chronique

Musiques savantes - de Debussy au Mur de Berlin (1882-1962)

Guillaume Kosmicki

Label / Distribution : Le Mot et le Reste

Spécialiste réputé, auteur de l’excellent Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, le musicologue Guillaume Kosmicki propose aujourd’hui aux éditions Le Mot et le Reste un ouvrage traitant des musiques écrites occidentales qui, outre son historiographie très documentée, trace un parcours amoureux au cœur d’une musique jugée parfois radicale à sa création et pourtant souvent devenue universelle. Il présente pour cela soixante-treize œuvres classées en six périodes distinctes, liées aux événements mondiaux qui ont morcelé le siècle en question et courent de La lugubre gondole de Frantz Liszt au War Requiem de Benjamin Britten.

Après avoir défini ce qu’il entend par « musiques savantes » et les distances qu’il convient pourtant de prendre avec cette expression imparfaite, utilisée faute de mieux, il envisage de manière linéaire la fécondité d’une période où l’on trouve, comme il l’écrit, « une diversité stylistique encore jamais rencontrée dans l’histoire de la musique ». De l’approche inédite du timbre à l’introduction de l’électroacoustique et même du jazz, cet ouvrage ausculte en profondeur tout ce qui constitue le langage des musiques exigeantes de notre temps. L’auteur raccroche l’univers des compositeurs aux réalités de l’Histoire : exil et oppression pour Hindemith lorsqu’il écrit Mathis der Maler en 1935, propagande pour Chostakovitch lorsqu’il compose sa Symphonie n°7 « Leningrad » sous les bombes en 1941… Mais aussi scandales et révolution de Stravinski et son Sacre du printemps, jusqu’au Déserts de Varèse, auquel Kosmicki voue une sincère - et bien compréhensible - admiration. Chaque œuvre dispose d’une entrée indépendante où une large part est faite à la didactique et à la critique. Servi par une écriture fluide, l’ensemble est envisagé avec beaucoup de passion et permettra même aux lecteurs les plus pointus de trouver les clés nécessaires à la découverte de Mossolov, ou de Scelsi.

Et le jazz dans tout ça ? Il est partout, répondra le provocateur. L’auteur a l’excellente idée de ne pas cloisonner les musiques au profit de LA musique, qui s’irrigue dans cette période, bien plus que dans d’autres, de l’ensemble de ses vaisseaux. On retrouve ainsi Ellington (Ko-Ko) bien assis entre John Cage et Luigi Dallapicola ou encore Monk (’Round Midnight) à la suite de Prokofiev… Mais aussi, de loin en loin, l’influence de cette musique sur Satie, Berio, et bien sûr Bernstein et Gershwin. Cet ouvrage est d’ailleurs indispensable à ceux qui voudraient comprendre ce qui pétrit largement le jazz contemporain. Un second tome est en préparation, qui évoquera la période allant de 1962 à nos jours… Prenons déjà les paris : Coltrane ? Zappa ? Aphex Twin ? Levinas ? Braxton ? Les choix seront sans doute cornéliens. On en salive d’avance !