Chronique

Die Hochstapler

Within

Louis Laurain (tp), Pierre Borel (as), Antonio Borghini (b), Hannes Lingens (dms)

Label / Distribution : Umlaut Records

Enregistré dans la salle berlinoise Au Topsi Pohl où le label Umlaut a ses habitudes, Within du quartet Die Hochstapler est né entre les deux concerts qui constituent le contenu de Beauty Lies, le disque gémellaire de l’orchestre. À bien des aspects, cette improvisation collective renoue avec ce que le quartet européen (franco-italo-allemand pour être précis) nous avait proposé il y a quelques années dans le Braxtornette Project. On est en effet transporté à tout instant entre des esthétiques chères à l’AACM, comme dès les premières secondes de la « Part 1 » où la contrebasse d’Antonio Borghini attaque une puissante note de saxophone, et un jeu subtil de timbres entre trompette et alto qui doit énormément aux travaux de Coleman et Cherry. Sans pour autant s’adonner à la révérence : quelles que soient les citations fugaces et les stratégies mises en place, Die Hochstapler joue une musique neuve, même si elle s’inscrit dans une tradition.

Dans les premiers instants de ce disque enregistré en deux parties, à l’instar de deux faces de 33 tours, l’orchestre joue avec un enthousiasme réel entre urgence et courte rupture de rythme, ce qui permet de relancer régulièrement la machine. Lorsque Pierre Borel joue avec autorité aux côtés de la contrebasse, c’est pour libérer la puissance de Louis Laurain qui joue très en avant, mais parfois, notamment dans la « Part 2 » plus abstraite, c’est la trompette qui joue une mécanique très subtile avec la batterie de Hannes Lingens, permettant quelques accès de rage contenue de la part du saxophone. Il faut louer le travail du batteur, intense dans son approche, capable d’épouser chacune des idées de ses compagnons, voire d’en instiller de nouvelles. Que le quartet s’empare d’un blues explosif que n’aurait pas renié Mingus ou que la trompette sonde une abstraction qui aurait croisé l’univers de l’Art Ensemble of Chicago, le batteur trouve toujours l’instant parfait et permet, aux côtés de Borghini, d’ouvrir d’autres lignes de fuite.

La musique du quartet, jamais très loin de l’incandescence, semble sans cesse sur la brèche. Dans le dernier tiers de la « Part 2 », c’est la contrebasse, jouée en pizzicati nerveux, qui instaure une forme d’urgence sur laquelle les soufflants viennent se briser avant que la batterie ne rompe brutalement avec ce climat pour en instaurer un autre, paradoxalement plus serein. C’est ce qui permet à Pierre Borel de chercher un autre chemin, plus luxuriant mais à la tension palpable ; des choix qu’il avait aussi impulsés dans la « Part 1 » en parallèle de Louis Laurain au sortir d’une intense discussion entre contrebasse et batterie, au centre du morceau. On savait Die Hochstapler capable de faire vivre une musique libre qui se sert des traditions comme d’une langue véhiculaire diablement vivante, et capable d’écrire de nouvelles pages. Within en est un exemple brillant, réussi de bout en bout.