Chronique

Guillaume Roy

From Scratch

Guillaume Roy (vla), Corinne Frimas (voc, 8)

Label / Distribution : Emouvance

Quelques semaines après la sortie d’Exubérances, album en quartet de Guillaume Roy, voici From Scratch, solo paru sur le label marseillais Emouvance [1]. Loin de la tradition qui voudrait reléguer le violon alto dans un rôle d’instrument d’harmonie ou d’accompagnement, Roy use ici de sa technique étendue pour se laisser entraîner dans une multitude de couleurs et d’espaces. Cet artiste dont le centre de gravité oscille entre musique improvisée et contemporaine offre ici un précipité de sa musique à la troublante pureté.

Des profondeurs de « Openness », où l’archet dessine des entrelacs bouillonnants, à la rugosité qui bondit sur les cordes de « Danse de pluie » dans des éclats de lumière, il façonne à partir du néant un vortex dont l’improvisation est la seule énergie motrice. « A partir d’un cercle » est un formidable exemple de cette lente progression qui s’extirpe d’un silence tendu où l’on perçoit même le souffle de l’altiste. Chaque détail, jusqu’à la caresse incessante du crin sur les cordes, dessine une ligne de fuite, un chemin possible, une urgence éphémère dont Roy dispose en toute liberté, passant de l’une à l’autre où les embrassant toutes avec une insatiable gourmandise.

« Il faut laisser venir l’impudence, l’insolence » dit la comédienne Corinne Frimas qui vient lui prêter sa voix pour une dualité soudaine sur le bien nommé « L’imprévue ». L’implacable gonflement de l’archet qui lui répond se range à cette volonté. S’il n’est pas ici question d’exubérances, dans la pondération du solo on retrouve le goût de Roy pour l’imprévoyance et les bifurcations, celles qui demandent une attention extrême pour ne pas s’égarer. De fait, la première qualité de ce magnifique solo est le sentiment de maîtrise absolue du sujet, de réflexion intense sur chaque geste qui permet la fulgurance et l’immédiateté.

Le double sens de From Scratch - qui peut se traduire par « À partir d’égratignures » ou « À partir de rien » - est un ingénieux résumé du propos, qui évoque à la fois les éraflures qui entament la lourde masse du silence et le flot rugissant qui surgit du néant. Aussi solide que soit l’amas, il s’effrite pourtant, çà et là, en particules fines comme la poussière des sabliers. On connaît l’univers riche et impétueux de Guillaume Roy ; il est livré ici dans sa facette la plus brute. L’alto grince, craque, gronde parfois et l’aspect rêche de son timbre s’insinue tout en sensualité dans un flot qui convoque à l’occasion l’ombre de Ligeti (« Tourbe » et sa poésie nébuleuse). Le rapport à la matière revêt un aspect absolument organique. Emporté dans un mouvement perpétuel et chaotique, on est confronté à une musique où l’oscillation la plus infime, le frottement le plus fragile ont un goût d’inexorable. Suivre les chemins tortueux de la liberté en compagnie de Guillaume Roy est une perspective enthousiasmante. L’intensité poétique qui émane de chaque pièce est la grande réussite d’un solo en tous points remarquable.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 mars 2013

[1On y avait déjà remarqué Amarco, superbe trio avec Claude Tchamitchian et Vincent Courtois.