Chronique

Orchestre National de Jazz Olivier Benoit

Europa Oslo

Jean Dousteyssier (cl, bcl), Alexandra Grimal (ts, ss), Hugues Mayot (as), Fidel Fourneyron (tb), Fabrice Martinez (tp, flh), Théo Ceccaldi (vln), Sophie Agnel (p), Paul Brousseau (cla), Maria-Laura Baccarini (voc), Sylvain Daniel (b), Eric Echampard (dms)

Label / Distribution : ONJAZZ Records

Oslo, Terminus ! C’est ainsi que se clôt le voyage avec l’Orchestre National de Jazz d’Olivier Benoit. Europa Oslo sera, c’est certain, la dernière halte et déjà la lumière se voile de nostalgie et de fables. On arguera que c’est inhérent à la culture nordique, qui sait si bien réchauffer la pénombre des nuits interminables. C’est vrai qu’il y a dans l’ensemble de ce quatrième volet une douceur et une sensualité exacerbée, que l’on découvre dans la délicate introduction de « Sense That You Breathe ». Entre le violon de Théo Ceccaldi et la clarinette de Jean Dousteyssier, c’est un canevas douillet sur lequel vient se poser Maria Laura Baccarini, la chanteuse invitée pour évoquer la capitale norvégienne. On pourrait songer que l’Italienne est le trait d’union avec Europa Rome. Il n’en est rien, son approche est très scandinave, à la fois distanciée et sucrée, brûlante et sage. Elle incarne l’âme de la cité, urbanité à taille humaine, bordée de nature et pourtant en perpétuelle transformation.

Donc, dans ce tour d’Europe des métropoles multiculturelles, c’est Oslo qui donne de la voix. Ce n’est pas le cri de Fidel Fourneyron (« An Immoveable Feast »), ce sont les textes du poète et dramaturge Hans Peter Blatt qui agrègent des phonèmes à l’essence de la ville. Dans ce sommet de l’album qu’est « Intimacy », le piano préparé de Sophie Agnel, plus central que jamais, ourle le chant de Baccarini. La chanteuse prend plaisir à emmener l’orchestre dans des registres pop, tout sauf clinquants. Plutôt doux et frais tel de la neige. Des flocons ouvragés, érodés, découpés à l’instar des fjords. Oslo est une merveille de chaussées droites et amples parfaitement éclairées. Lorsque la guitare se mêle à la basse grasseyante de Sylvain Daniel, on retrouve l’alliance que Benoit avait pu nouer avec la chanteuse sur des disques comme Furrow, où l’on entendait aussi Eric Echampard. Le batteur réalise ici un travail remarquable de césure entre les deux entités urbaines. Le maître d’œuvre d’un ONJ bâtisseur.

Oslo est double. Cette exploration en marchant dans les pas du directeur artistique et maître d’ouvrage permet d’en percevoir l’énigme, puisqu’elle l’entoure et percole de chaque instant. On y déniche cette nature qui aime à rester sauvage, représentée par l’étourdissante mécanique des soufflants sur « Det Har Ingenting å gjøre », conduit par un Fabrice Martinez étincelant et pugnace. Mais également ce cœur urbain, moderne et palpitant évoqué par l’électricité fiévreuse de Paul Brousseau (« Ear Against The Wall »). Parfois, les images s’entrecroisent pour se placer dans ces paradoxes qui font le mystère d’Oslo. Le Bislett Stadion ornant la pochette le résume idéalement : une nature hostile et des rues accueillantes, habitées par la colère des saxophones d’Alexandra Grimal et Hugues Mayot sur « A Sculpture Out of Tune » qui s’émoussent à mesure que le propos devient contemplatif. Certes, Oslo n’est pas Paris ou Berlin. Mais c’est l’exact opposé de Rome, en ce sens que l’on renoue avec l’ingénierie rigoureuse des compositions de Benoit joué par cet ONJ. Quelque chose a néanmoins changé. La découverte de la cité a le goût de l’errance. Ce n’est pas un travelling échevelé dans un lieu familier ; la rencontre entre l’ONJ et Oslo est un coup de foudre où Maria Laura Baccarini fait office de catalyseur, non dénué d’une petite touche de surnaturel. Les quatre métropoles sélectionnées pour ce projet furent franchement différentes. Elles sont, indéniablement, à l’image du jazz européen : diverses mais unies par une même volonté de cohérence. Nul doute qu’on reviendra les visiter en connaisseur encore pour de nombreuses années. Merci pour cette exaltante excursion continentale.