Chronique

Guillaume Séguron Trio

Solo pour trois

Guillaume Séguron (b), Lionel Garcin (as), Patrice Soletti (g)

Label / Distribution : Ajmi Series

Quelques semaines après nouvelles réponses des archives, aventure soliste qui ne se conçut pas en solitaire et mûrit durant plusieurs années [1], Guillaume Séguron présente sur le label AJMIséries [2] un disque en trio qui explore également une veine collective, au point de mêler les voix pour n’en émettre qu’une seule. En compagnie de ses vieux comparses Lionel Garcin au saxophone alto et Patrice Soletti à la guitare, le contrebassiste favorise une démarche très égalitaire qui fait seul continuum d’images et d’influences.

Celui qui qui méconnaîtrait la démarche de ces trois musiciens pourrait imaginer, à partir du titre, une alliance de circonstance entre trois soliloques. Ici, pourtant, tout n’est que de partage et équilibre. Une démarche libertaire d’improvisation collective où chacun est responsable de l’autre ; solo pour t(r)oi(s), solo pour toi... Un pour tous et tous pour trois, les musiciens allient leur timbres et soutiennent les initiatives de chacun avec attention et concentration. Dans ces morceaux écrits pour la contrebasse, le trio délivre une parole énergique et fébrile où l’électricité ne fait que renforcer une approche organique et charnelle. On pourrait croire le propos labyrinthique, mais les écoutes successives laissent apparaître une ligne claire, évidente, soulignée par une contrebasse lumineuse.

Autour, toutes les boucles, toutes les distorsions ou amplifications servent à donner du relief aux combinaisons de timbres et à les rendre plus fluides. Ainsi, avec « Waiting for Stewart », l’album s’ouvre sur une lente articulation des instruments amalgamés par un jeu d’archet massif qui engendre l’unisson. De phrases dédoublées en attaques sanguines fomentées par la guitare de Soletti, le morceau se fait plus nerveux. Prenant son relais, les pizzicati tranchants du contrebassiste créent une urgence où s’engouffre un alto chauffé à blanc qui introduit le morceau suivant, comme une boucle infinie liant l’ensemble de l’album.

A mesure qu’on pénètre dans cette musique, on passe d’un moment à l’autre d’une approche très contemporaine à l’électricité rageuse (la seconde partie de « Pal (Azzo) F7 » où le riff corrodé de Soletti semble trancher l’alto dans le vif) à des improvisations plus vastes où s’engouffrent quelques fragrances de rock progressif (la seconde partie de « Bal 47-81 », notamment). Guillaume Séguron, toujours méticuleux, construit avec ses comparses une architecture complexe et évidente à la fois, où l’absence de batterie n’empêche pas l’audace rythmique. Cela développe au contraire les chemins de traverse et les croisements fortuits.

Naturellement, la composition de l’orchestre fera songer à l’élégance des trios de Jimmy Giuffre et Jim Hall où se succédèrent tant de contrebassistes, Ralph Peña en tête. Si l’on retrouve ici cette sensation d’agilité collective, elle se nourrit tout autant de Giuffre que de Robert Fripp, Tim Berne ou encore Ornette Coleman. Cette unité plurielle et versatile, jetée sur un carnet pour mieux la laisser mûrir, s’illustre parfaitement dans « L’intrus » qui galvanise le final d’un album très travaillé. Solo pour Trois est sélectionné pour la tournée Jazz Migration 2013 ; l’occasion de découvrir la formation d’un contrebassiste singulier et passionnant.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 décembre 2012

[1Voir notre entretien.

[2Où il enregistra, il y a près de dix ans, Witches autour des musiques de Police.