Pluir est un drôle de néologisme. Peut-être une fusion poétique qui signifierait fuir sous la pluie ? Une invention qui évoquerait l’inexorable douceur d’une pluie d’idées frappant le sol avec frénésie ? A toutes ces questions, le Surnatural Orchestra ne répond pas vraiment. Ou plutôt, il y apporte un foisonnement de réponses. A l’écoute de « Pluir », morceau signé par le saxophoniste Nicolas Stephan, on retrouve avec plaisir la fanfare picaresque et chaleureuse, adepte du Soundpainting que peut-être le « Surnat’ ». Elle semble prendre toujours autant de plaisir à jouer et à s’enthousiasmer de la chaleur qui transpire de sa musique. Le personnel n’a guère évolué : à peine retrouve-t-on parmi les petits nouveaux un des six saxophonistes, l’Anglais Robin Finker mais aussi Guillaume Durtrieux à la trompette. Cette cohésion ancienne, cette amitié solide, forge le ton très collectif de cette formation à part.
Ses nouvelles aventures, trois ans après l’étrange et très poétique Sans Tête [1], parcourent avec toujours autant d’énergie des paysages changeants et vallonnés en empruntant des chemins inédits. Dans ce troisième album, on retrouve cette luxuriance, cette fougue, mais la direction a un peu évolué au gré des envies et des grains de folie. On y découvre un tango (« Don Augustin Bardi »), mais moins de ces teintes klezmer qui moiraient la couleur originelle. Cette bifurcation s’opère au profit d’une musique plus urbaine, où la force de frappe des seize soufflants s’exprime avec pétulance et où le batteur Antonin Leymarie et le percussionniste Sylvain Lemêtre prennent une position plus centrale. Ainsi, « Ayez Pitié » commence dans l’urgence d’un tintamarre de percussions où le saxophoniste Jeannot Salvatori ajoute son comptant de tambourins et de cloches. L’entropie de ce déluge prend peu à peu une telle place que les cuivres, lorsqu’ils reprennent le dessus, se donnent une allure un peu surannée de fanfare abandonnée en rase campagne. La composition du sousaphoniste Laurent Géhant s’épanche ensuite en une petite mécanique fragile mais diablement huilée, pour s’éteindre finalement dans le svelte trait de flûte de Cléa Torales.
Il faut envisager les 19 musiciens du Surnatural et les techniciens qui les entourent aussi bien comme une troupe que comme un grand orchestre. Une approche qui sied à leur musique de saltimbanques flamboyants tout droit sortis d’une bande-son de Nino Rota. « Choses Sauvages », du claviériste Boris Boublil, en est l’exemple parfait, entre jazz mutin et bulles pop qui se permettent quelques clins d’oeil zappaïens dans l’alchimie bienveillante des basses. La musique du Surnatural est absolument libertaire, au sens où chacun prend ses responsabilités à sa guise dans le dessein collectif. La longue suite versicolore « Party Party 1, 2, 3 » use d’un jeu collectif qui se dispense de leader. Il en résulte une fluidité et une inventivité qui fonde depuis longtemps l’image de l’orchestre.
Mais la gourmandise de cet album réside dans « What is Collective ? », où s’invite la jolie voix de Sylvaine Hélary et de l’invité, le rappeur Mahmoud The King. Avec sa rythmique funk dégingandée, ce morceau folâtre entre groove étincelant et hip-hop abstrait avec une affolante versatilité. Il n’est pas sans rappeler l’univers de la flûtiste et de son récent disque en trio, dont il conserve la fraîcheur mutine, décuplée par la palette de timbres de l’orchestre. L’irruption de la voix dans cette fin d’album donne une liberté exhaustive au Surnatural.
Pluir est réjouissant par son approche à la fois vivante et robuste, raffinée et pleine d’élans populaires. La musique ici est toujours lancée à toute vitesse et poussée par les vents. Elle nous emporte, nous aussi, dans son tourbillon coloré, tellement ravis qu’on en redemande.