Chronique

Harold López Nussa

Un día cualquiera

Harold López Nussa (p), Gaston Joya (cb), Ruy Adrian López Nussa (d, perc)

J’ai pour habitude d’estampiller « ELUs » les albums qui tapent l’incruste sur ma platine, ceux que je n’arrive pas à supprimer de la liste de mon autoradio, ceux dont il m’arrive de siffloter quelques bribes, ceux qui m’accrochent un sourire à la bouche. Pas seulement ceux-là mais ceux-là assurément. Un día cualquiera en fait partie.

Apparu sur les scènes mondiales voici une douzaine d’années, Harold López Nussa, maintenant trentenaire, est de ces rares musiciens dont on reconnaît le son et le jeu dès les premières secondes. Générosité et explosivité en sont les notes de tête, dirait-on si l’on parlait de parfums. Une main droite prolixe et énergique, une main gauche dotée d’un drive à toute épreuve (écoutez-la sur « Hialeah ») qui dispense son batteur de frère, Ruy Adrian, des tâches subalternes et lui laisse le choix des couleurs, ce dont il ne se prive pas. Mais s’il affectionne les morceaux punchy comme ceux qu’il dispose en ouverture et en clôture de son album, le pianiste est aussi capable de se glisser avec naturel et fantaisie dans les sucreries créoles et d’évoquer tendrement les couleurs surannées d’un Paris très amélie-poulinesque (« Ma petite dans la boulangerie », en français dans le texte).

Héritier de la tradition du piano cubain - il cite et rend hommage à Bebo Valdés, reprend Ernesto Lecuona, mais on ne saurait trop vous conseiller d’écouter aussi son oncle Ernán - HLN n’est pas homme à vivre de ses rentes. Il fait fructifier l’héritage et pratique la transculturation comme il respire ; ses compositions recourent au montuno, empruntent au son et au danzón, mais rien de folklorique là-dedans ; elles sont traversées par les musiques actuelles (« Cimarrón », « Elegua ») aussi bien qu’émaillées d’apports venus de la tradition du jazz afro-cubain et des impressionnistes français.

Tout cela pourrait être compliqué, contourné, emprunté, si l’on n’avait affaire à un musicien à la fois virtuose et homme d’une rare simplicité. Sa musique est à son image : généreuse, bonne vivante, roborative, réconfortante même, et elle éclate de sincérité.

Un mot, pour finir, du magnifique jeu de Gaston Joya, le contrebassiste. Sur « Cimarrón » il s’en donne à cœur joie, passant sans transition de l’archet au pizzicato limite hip-hop puis jazz ; sur « Danza de los Ñañigos » il danse littéralement. Discret quand il le faut, contondant parfois, lyrique sur « Preludio », il est à juste raison mis en valeur par une belle prise de son et un mixage intelligent.