Scènes

Errobiko Festibala, édition 2010

« Fêtes et rituels, la force vitale du chant », annonçait fièrement le programme. A Itxassou la tradition n’est ni musée ni folklore : elle respire l’air du XXIè siècle.


« Fêtes et rituels, la force vitale du chant », annonçait fièrement le programme d’Errobiko Festibala pour ce millésime 2010. Des fêtes, il y en eut ; des rituels, anciens ou nouveaux, aussi. Mais de folklore, point : à Itxassou, la tradition respire l’air du XXIè siècle.

Il existe plusieurs sortes de festivals musicaux. Pas seulement deux, les bons et les mauvais : plusieurs.
D’abord, ceux dont le projet est d’offrir au spectateur une série de concerts. Parmi ceux-là, il y en a où la programmation vous plaît, d’autres où elle ne vous plaît pas, d’autres enfin dont l’affiche est alléchante mais reproduit à peu de chose près celle de quinze autres festivals en Europe. Certains offrent, en outre, une ambiance particulière, un « village » accueillant, des événements artistiques autour des concerts. Jusque-là, c’est simple, surtout pour le chroniqueur : il suffit d’enchaîner les comptes rendus.
Et puis les autres. Ceux dont l’essence ne se laisse pas réduire à une liste de concerts parce que le propos est ailleurs ; souvent, leur identité est étroitement liée à leur(s) créateur(s). Le souvenir qu’on en garde est bien supérieur à la somme des choses vues - ou plutôt différent : une résultante, un produit non cartésien. Et là, le travail du chroniqueur se corse. Mais ici, vous l’aurez compris, ce sont ceux-là que l’on préfère.
Errobiko Festibala en fait partie. Vous pouvez y aller pour un seul concert, bien sûr, et vous verrez un bel et bon concert. Mais vous aurez manqué tout le reste, peut-être l’essentiel.

Quatuor Kairos, Marina Beheretche © Diane Gastellu 2010

Petit frère d’Uzeste Musical, Errobiko Festibala lui ressemble en effet comme un frère, c’est-à-dire pas tant que ça, à première vue. A Uzeste, pas de promenade dans les bois, pas d’excursion en montagne. A Itxassou, pas de débat politico-syndical, pas de proclamations ni de manif’heste. Pourtant, chacun à leur façon, les deux festivals procèdent d’une même idée : la résistance des forces de vie. La musique en est plus que la manifestation : l’incarnation.

Au commencement était le verbe, paraît-il. Au commencement d’Errobiko, sans le moindre doute. Beñat Achiary est vocaliste : jour après jour son festival célèbre la voix, la parole, l’oralité, principe de toutes choses. Car on est un peu chamane, à Itxassou. Panthéiste, à tout le moins : ici on fête les quatre éléments. La terre sur laquelle on s’assied, sommeille, marche, danse, frappe du pied. L’air, qui est la matière même du son. L’eau dont nous sommes faits. Le feu, dans les âmes toujours et dans le ciel d’Itxassou samedi soir, apothéose.

Arrivés le deuxième jour seulement, vendredi, nous avons plongé tout droit dans une promenade à travers les fougères où, sous la conduite d’un joueur de clarinette et de curieux personnages enveloppés de film plastique, nous avons croisé un conteur d’histoires vraies, des tambours brésiliens, une nymphe dansant au bord d’un ruisseau, des lutins cabriolant dans un chêne au son d’un violon et d’une guitare, un buisson de bambous qui jouait du saxophone. Au retour, nous avons trouvé sous le chapiteau Guida Bastos, sa guitare et ses fados, puis Los Gojats : les rejetons d’Uzeste, moyenne d’âge dix-huit, vingt ans tout au plus. Un septette jazz chahuteur qui ne dédaigne pas l’improvisation la plus débridée mais s’épanouit mieux dans les bons vieux standards maltraités avec respect et jubilation. Parmi eux, quelques personnalités fortes que l’on est sûr de retrouver encore longtemps sur les scènes jazz.

Le chapiteau, « Au Pré des artistes », c’est la scène des petits jeunes, des outsiders, des coups de cœur. La programmation, signée Marie Dubroca et Catherine Luro, mixe chanson populaire, rock, traditionnel et musique expérimentale avec le souhait évident de bousculer l’auditoire, de ne jamais le laisser s’installer dans des références. Voyez plutôt : le lendemain, nous avons eu droit dans l’ordre (si l’on peut dire) à quatre duos : une vielle à roue électrifiée et très énervée (Romain Baudoin, inventif) et un Eugene Chadbourne qui semblait enfermé dans un folk répétitif sans grande surprise. Puis Ryan Kernoa et Xabier Erkizia, guitare et harmonium informatisé, hautement expérimentaux, jouant sur d’infimes variations du son à l’intérieur d’un continuum saturé ; Do et Rüdiger (Joseba Irazoki et Félix Buff), autres habitués du lieu, entre rock alternatif et chanson, et pour finir un duo… à trois, puisque Laurent Bernays (chant, percussions) et William Legares (basse électrique), annoncés à l’affiche, ont été rejoints par Laure Mollier (chant) pour un set alliant improvisation libre, poésie et musiques traditionnelles.

Gaspar Claus, Mateo Cortés, Concha Vargas, Pedro Soler © Diane Gastellu 2010

Autres lieux de ce festival pas comme un autre, deux chêneraies : celle d’Elizaldea où se tiennent les débats du matin (ou comment se réveiller les neurones en douceur et intelligence) et celle de Zabaloa, rendez-vous des siestes musicales qui abritait aussi, tard dans la nuit, le monologue inspiré du poète et comédien Claude Guerre, élégant et lunaire. Bien d’autres lieux encore – Errobiko est un festival où l’on marche - que nous n’avons pas tous parcourus, et sans doute avons-nous manqué des choses essentielles… mais les conversations entre les concerts, les amitiés qui s’esquissent sous le préau, au coin du chapiteau, cela fait aussi partie de la magie ambiante.

Nous étions en revanche bien là pour les deux grands concerts du vendredi et du samedi. Le trinquet d’Atharri a parfois des allures de cratère volcanique. Dedans, ça bouillonne, ça gronde, ça ne demande qu’à déborder. Vendredi, un accordéon : Philippe de Ezcurra [1] et un quatuor à cordes : Kairos pour une somptueuse réorchestration des tangos d’Astor Piazzolla. Un changement de plateau en vitesse : après la flamme contenue du tango vient celle, éclatante, du flamenco. Deux Espagnols d’Espagne : Concha Vargas, bailaora éruptive et impérieuse, Mateo Cortés, cantaor profond, sans outrance ni pose. Deux Espagnols de Toulouse : le guitariste Pedro Soler, économe de ses moyens, et son fils Gaspar Claus, violoncelliste qui fréquente plus l’improvisation contemporaine que les tablaos d’Andalousie. Résultat : un mélange détonant, métal en fusion, bousculant à la fois tradition et modernité, avec comme point d’orgue un renversant duo Gaspar Claus/Concha Vargas, terrible comme le combat de la mangouste et du serpent.

Samedi, concert d’entrée avec les stagiaires et élèves de Beñat Achiary, venus du Pays Basque comme de Bobigny. Juxtaposition d’apprentis jazzmen - et women - un peu hésitants et de personnalités artistiques beaucoup plus affirmées comme les chanteurs « traditionnels » Thierry Biscary et Jean Michel Bereau. Puis, après l’inévitable entracte, un public remonté comme un coucou suisse accueillait plus que chaleureusement Danyèl Waro et ses quatre partenaires, musiciens et choristes à la fois - dont son propre fils Samy. Maloya à toutes les sauces, textes poétiques ou engagés pour qui sait les comprendre, Waro transforme promptement Atharri en caldeira et l’assistance en coulée de lave. Prélude idéal à la séquence nocturne qui nous happe à la porte même de la salle : une mascarade inspirée des carnavals basques, toute en feux de Bengale et peaux de moutons, figures diaboliques et grotesques, nous entraîne jusqu’au bout du pré pour un concert de txalaparta et un feu d’artifice.

Danyèl Waro, Beñat Achiary © Diane Gastellu 2010

Fini ? Non. Retour au chapiteau ou Los Gojats donnent… un bal. Avec en invité spécial, au piano, Bernard Lubat. Le frangin d’Uzeste. Boucle bouclée. [2]

Pris par le temps, nous sommes repartis le dimanche matin sans participer à la marche poétique en montagne. Errobiko n’en finit jamais de finir, comme ces soirées entre amis qu’on renâcle à quitter. On se raccompagne mutuellement, une fois, deux fois, trois, puis vient le moment où il faut vraiment se séparer, et on se dit à regret « à la prochaine fois ». La prochaine fois, on ira marcher jusqu’au Mondarrain, promis.

par Diane Gastellu // Publié le 15 décembre 2010

[1Surtout connu pour ses collaborations avec Beñat Achiary - l’album Avril, avec Ramon Lopez (Daqui 332032) -, mais que l’an dernier nous avions découvert arrangeur et interprète de musique classique et contemporaine (Berio notamment).

[2Et troisième paire « père-fils » de ce festival après Pedro Soler/Gaspar Claus et Danyèl Waro/Samy Pageaux Waro, puisque le batteur des Gojats n’est autre que… Louis Lubat.