Chronique

Henri Texier

Blue Wind Story

Label / Distribution : Label Bleu

Cette compilation [1], car c’en est une, embrasse plus de vingt années de discographie du contrebassiste en leader [2] sur un label qu’on est heureux de voir revenir au premier plan après une période difficile ; elle retrace toutes les évolutions importantes de ce musicien devenu une sorte de maître à jouer.

Henri Texier a choisi une présentation chronologique qui va de l’album live Paris-Batignolles en 1986, avec le grand Joe Lovano en invité, jusqu’à Holy Lola, bande originale du film de Bertrand Tavernier sorti en 2004 [3] et propose un beau voyage à bord d’une embarcation dont les matelots ne sont pas les derniers venus : la liste est longue et l’énumération serait sinon fastidieuse, du moins digne d’un Who’s Who de la scène hexagonale et européenne. Il y a là en effet tous les membres de l’Azur Quintet (Bojan Z, Sébastien Texier, Glenn Ferris, Tony Rabeson), du Sonjal Septet (Julien Lourau, Noël Akchoté…) ou du Strada Sextet (Manu Codjia, Christophe Marguet, François Corneloup, Gueorgui Kornazov…) mais aussi Louis Sclavis, Jacques Mahieux, John Abercrombie, Steve Swallow, Aldo Romano, Michel Portal, Bob Brookmeyer, Lee Konitz… Arrêtons-nous là ; ces arguments patronymiques sont à eux seuls une impressionnante carte de visite qui devrait suffire à démontrer le niveau d’excellence qui règne ici.

Si ce coup d’oreille dans le rétroviseur est particulièrement saisissant, c’est que la force d’Henri Texier se trouve concentrée par la compilation ; celle-ci souligne la qualité première de toutes les musiques jouées, qu’il s’agisse de compositions originales ou de reprises : la mélodicité. Texier est un artiste du chant, son lyrisme déborde à chaque instant et contamine tous les participants à la fête. Elle est à l’image exacte de son créateur, homme de révolte mais aussi de douceur et d’empathie. Goûtons donc sans réserve le thème majestueux de « Colonel Skojpe », la douleur diffuse qui se dégage de « Desaparecido », la reprise aérienne de « Stolen Moments », la belle valse nostalgique dédiée à « Simone Signoret », les interventions décisives et pleines d’énergie de Lourau ou Akchoté sur « Entrave », le frisson provoqué par le velours mélodique du baryton de Corneloup sur « Lady Bertrand », le déchirement de Sébastien Texier à l’alto sur « Hantise » pendant que son père frappe les cordes à l’archet, ou bien encore la version festive du « Togo » d’Ed Blackwell.

Toutefois, ce double album présente un défaut majeur : il ne peut se suffire à lui-même ! À peine aurez-vous fini de l’écouter que vous serez gagné par l’envie de recommencer ou, pis encore, de vous précipiter sur les disques à partir desquels il a été composé.

« Bon voyage dans le passé et à tout bientôt dans l’avenir », nous dit Henri Texier. Cet avenir pointera le bout de son nez en février prochain avec la parution d’un nouveau disque, qui sera consacré à quelques chansons d’amour (« God Bless The Child », « Beautiful Love », « In A Sentimental Mood »…), accompagnées de « reflets improvisés et kaléidoscopiques » avec le beau Red Route Quartet qui a donné quelques concerts au début de l’année. Vivement bientôt !

par Denis Desassis // Publié le 1er décembre 2008

[1Label Bleu – LAB 0271.

[2Les trois CD avec Aldo Romano et Louis Sclavis ne sont pas au programme, pas plus qu’Update 3.3 avec François Jeanneau et Daniel Humair.

[3NB : Les deux extrémités de sa discographie sont donc exclues, à savoir La Compañera en 1983 et Alerte à l’eau en 2007.