Chronique

Simon Chivallon

Flying Wolf

Simon Chivallon (p, comp), Antoine Paganotti (dms), Géraud Portal (b), Boris Blanchet (ts, ss) + Baptiste Herbin (as), Julien Alour (tp).

Label / Distribution : Jazz Family

Le nom de Simon Chivallon ne vous est peut-être pas encore familier. Le pianiste, qui s’est aguerri entre autres expériences au Centre des Musiques Didier Lockwood aux côtés d’Antonio Farao, Baptiste Trotignon ou Bojan Z, est un sideman recherché, qu’on avait pu retrouver au générique de Starouarz, un disque enregistré par l’Edmond Bilal Band. Citizen Jazz s’en était fait l’écho à l’occasion de sa publication.

Le voici aujourd’hui à la tête d’un quartet dont l’inspiration est, à n’en pas douter, de nature coltranienne. En d’autres termes, il faut comprendre que sa musique se révèle comme un appel à un grand périple modal empreint d’une volonté d’élévation (pour ne pas dire d’ascension), ainsi que le soulignent la plupart des titres des compositions de Flying Wolf, premier disque de cette formation qui voit le jour sur le label Jazz Family. « Call », « Sleeping Angels », « Invitation » ou encore « Landing » appartiennent en effet au langage coltranien. Quant à « Mister G », un solo de contrebasse de deux minutes, ne serait-il pas un hommage appuyé à un certain Jimmy Garrison ? Sans chercher à renouveler le langage du jazz, mais sans pour autant être passéiste ni suiveur, Simon Chivallon semble déterminé à creuser une fois de plus le sillon tracé par le saxophoniste en son parcours fulgurant. Les beautés en sont si nombreuses, les élans si puissants – et souvent mystiques – qu’on peut aisément comprendre un tel désir d’en retrouver la lumière et de se laisser porter par son inspiration. Pas de nostalgie donc, mais une source d’énergie inépuisable.

Enregistré live le 27 avril dernier au studio de Meudon comme s’il fallait préserver à tout prix l’urgence du propos, Flying Wolf s’offre donc comme le disque témoin d’une formation généreuse dont l’intensité du propos n’est pas la moindre des qualités. Aux côtés de Simon Chivallon – qui signe la quasi totalité du répertoire à l’exception d’une magnifique reprise de « Invitation » [1] – on découvre une rythmique du foisonnement, très chantante, où s’illustrent Géraud Portal à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie. Quatrième membre de l’équipage – car c’est bien un voyage dont il est question – un saxophoniste qu’on est heureux de retrouver en très grande forme, au ténor et surtout au soprano : Boris Blanchet, étincelant du début à la fin. Le jeu tout en lumière de Chivallon, dont la présence tant mélodique que rythmique n’est pas sans rappeler, et pour cause, celle de McCoy Tyner, trouve en Blanchet le parfait illustrateur de ses rêves musicaux. Son jeu brûlant et habité d’un lyrisme peu commun est le vecteur idéal d’une célébration qui sait passer d’appels en forme d’incantations (« Call » et « Landing », ouverture et final du disque) à des moments d’exaltation, les plus nombreux (« Flying Wolves », « L’envol », « Four Flowers », « Invitation »), ou de recueillement (« Prélude », « Rosemary In Blue » et surtout « Sleeping Angels », ballade en forme d’écho à « Naima »). Et pour ajouter d’autres couleurs à une fête qui n’en manquait pourtant pas, on mentionnera la présence sur certains titres de Julien Alour à la trompette et d’un étourdissant Baptiste Herbin au saxophone alto (« Four Flowers »). Le casting est impeccable, la route enchantée !

Disque enregistré sur le vif, avec le parti pris d’une prise de son assez brute qui lui confère la force d’une prestation scénique, Flying Wolf est l’une des belles surprises de ce début d’année. On guettera donc avec la plus grande attention les concerts de ce quartet capable de porter sa musique à incandescence et de nous transporter vers cet ailleurs dont John Coltrane et ses fils spirituels, Pharoah Sanders en tête, connaissaient les richesses.

par Denis Desassis // Publié le 25 mars 2018
P.-S. :

[1Enregistré par John Coltrane en 1958.