Hear Palmer
Carte blanche à Émile Parisien
Hear Palmer (10° édition)
Bel anniversaire pour les 10 ans de l’interprétation du millésime de l’année, à Château Palmer (Grand Cru Classé du Médoc). Une carte blanche donnée à Émile Parisien, un véritable festival de jazz de trois jours.
« Hear Palmer » c’est l’idée de faire interpréter le millésime de l’année précédente au moment des sorties en primeur [1], par un musicien de jazz. Une idée qui a traversé le corps et l’esprit de Thomas Duroux, régisseur de ce second grand cru classé du Médoc, en 2009. Il a commencé par inviter Jacky Terrasson en solo, puis Michel Portal en duo avec Yaron Herman (2010), Mirabassi/Ferris et Flavio Boltro (2011), le trio de Lionel Belmondo (2012), le quartet de Daniel Humair (2013), le Big Band de Christophe Dal Sasso (2014), Dan Tepfer et Thomas Enhco (2015), Archie Shepp (2016), le Quartet de Einar Scheving (2017), et finalement Émile Parisien en 2019.
- Concertation
Comme on voit, des musiciens et des formules très diverses, du simple concert dans le salon rose du château suivi d’un repas (réservé à un petit nombre d’invités) jusqu’au concert dans la grande salle des barriques, suivi également d’un repas « happy few ». En 2019, une « carte blanche » a été accordée à Émile Parisien, et ce sont en réalité trois concerts qui ont « interprété » ce millésime extraordinaire mais si compliqué [2] qu’il est resté pour le moment en attente dans les barriques. Un duo au château (Parisien/Roberto Negro, « Métanuits »), le « Sfumato » agrandi avec Théo Ceccaldi au Rocher de Palmer, et un trio totalement inédit à la Cité du Vin, avec Henri Texier, Jeff Ballard et Manu Codjia ont donc constitué un véritable festival de jazz, lié à la vie du vin à Bordeaux. Ce n’est pas si fréquent…
« Métanuits » avait été programmé par mes soins au Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan, en 2017, et Thomas Duroux, présent au concert, avait été très convaincu par cette lecture pour piano et saxophone d’un quatuor à cordes de Ligeti. D’où l’idée de les entendre à nouveau deux ans plus tard, dans un nouveau contexte. La rigueur de l’œuvre, l’ouverture qu’elle permet, les moments de tension et de détente qu’elle offre, ont parfaitement convenu à l’idée qu’on peut se faire d’un millésime tendu, mais également susceptible de révéler des beautés cachées. Un peu inquiets au départ à l’idée de projeter ce travail devant quarante personnes réunies dans un salon XVIII° où le rose domine, Roberto Negro et Émile Parisien se sont appuyés sur la proximité d’auditeurs attentifs pour se lancer aventureusement dans l’histoire de ce quatuor, et tout est passé au mieux. Des périodes tendrement dansantes qui font penser à Eric Satie – une référence que beaucoup ont relevé mais que les musiciens eux-mêmes n’entendent pas trop – aux épisodes orageux en provenance de Bartok ou Stravinsky, la musique de Ligeti ainsi visitée, relue, reprise, est magnifiquement adressée. Elle passe, elle touche, elle perce.
Le concert du lendemain, au Rocher de Palmer [3], était celui que le saxophoniste et compositeur avait conçu comme le centre de ses propositions musicales, dans la mesure où, à quelques exceptions près, c’était son groupe et son projet « Sfumato ». Ce fut un grand succès d’audience, ovation debout et présence d’un Théo Ceccaldi (entre autres) invité, tout comme le pianiste Michael Wollny alternant avec Roberto.
- Jeff Ballard
Le surlendemain (dimanche), direction la Cité du Vin, bâtiment très original et très fonctionnel, situé en bord de Garonne au niveau du quartier Bacalan, un des nouveaux lieux de l’extension réussie d’une ville qui n’avait au fond, à bien y réfléchir, qu’un argument de poids (mais lequel !) pour mériter de se faire mieux connaître : le vin qui porte le nom de la ville, chose finalement assez rare. Comme Émile est un homme de désirs et de projets, il a conçu un trio inédit avec Henri Texier et Jeff Ballard, batteur d’exception installé à… Bordeaux !
Ajoutez Manu Codjia pour introduire un invité, et le son et le phrasé d’une guitare qu’Émile et Henri connaissent bien, et vous avez l’intégralité d’une formation qui s’est produite à 18 heures devant une salle comble. Et vite comblée, après un petit temps d’expectation, par une musique généreuse qui a pris ses sources dans le répertoire du contrebassiste, celui du héros de la manifestation, et quelques belles pièces de Don Cherry, dont le sublime « Complete Communion », qui sait à la fois si bien chanter et vous inciter à la danse. Au final, une belle réunion familiale sur scène, où Jeff Ballard câlinait fièrement sa fille de six mois. Écoutez la voix du Palmer qui chante dans les barriques !