Chronique

Hugh Ragin

Fanfare & Fiesta

Hugh Ragin, Dontae Winslow, Omar Kabir, James Zollar (trompettes), Craig Taborn (piano), Jaribu Shahid (basse), Bruce Cox (batterie). Invité : Clark Terry (bugle et chant).

Label / Distribution : Justin Time Records

Relativement méconnu avant la parution de son premier CD (An Afternoon in Harlem, Justin Time 1999), Hugh Ragin détient non seulement une maîtrise en trompette classique de l’université d’État du Colorado mais il a étudié auprès de Clark Terry avant de s’illustrer aux côtés de David Murray, Maynard Ferguson, Roy Hargrove, Anthony Braxton et même le trombone-meister funk Fred Welsey. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces fréquentations passées nous renseignent sur l’éclectisme du bonhomme. À l’instar de son compère Murray ou mieux du regretté Lester Bowie, dont l’’ombre plane sur ce deuxième album, Hugh Ragin garde un pied ancré dans le terroir de la tradition et l’autre tendu vers des territoires sonores rarement explorés par la génération de néo-boppers qui domine la scène mainstream depuis les années 80.

Au lendemain du Trumpet Summit de l’été 2000, à l’occasion duquel il a pu croiser le cuivre avec Terry, Hargrove, Lew Soloff et Marcus Belgrave, Ragin a eu l’idée de réunir ce combo, proche par son esprit du World Saxophone Quartet. Comme leur leader, les trompettistes Kabir, Winslow et Zollar n’hésitent pas à assujettir leurs impressionnants moyens techniques aux besoins d’une conversation enlevée (et parfois discordante) où aux échos des fanfares néo-orléanaises se mêlent des accents de flamenco et de musique mariachi rarement ouïs en jazz depuis l’’époque du Tijuana Brass d’Herp Albert, sinon sur certaines plages de Roy Campbell, cet autre iconoclaste de la trompette. C’est notamment le cas sur la pièce éponyme, enregistrée à l’’origine par Ragin en duo avec D.D. Jackson sur un précédent album du pianiste (Paired Down, vol. 1, Justin Time 1997).

Qu’il s’agisse des deux thèmes proposés par l’invité spécial Clark Terry, des deux autres empruntés au répertoire de Lester Bowie (« Barnyard Scuffel Shuffel », « How Strange ») ou des compositions originales de Ragin (dont « A Prayer for Lester Bowie », justement), toutes les plages de cet album dégagent la même ambiance de débandade festive qui fait fi de tout académisme stérile, cette joie de vivre qu’’on associe volontiers au meilleur du Art Ensemble de Chicago.

Great black music, indeed ! Et puis, comment ne pas pouffer de rire à l’’écoute du sketch d’ouverture de « Spaceman » opposant le Professor Jive (Terry) à son élève (Ragin), ce petit moment de cabotinage digne de Dizzy Gillespie et Joe Carroll qui débouche néanmoins sur un solide échange trompettistique sur la grille harmonique archi-connue d’« I Got Rhythm » ? Impossible aussi de passer sous silence le soutien impeccable du trio rythmique, où brille notamment Bruce Cox, qui donne une réplique musclée aux cuivres sur la pièce d’’ouverture, le « Finger Filibuster » de Terry. Amalgame de bon vieux blues, de psychédélisme à la Sun Ra, d’improvisation collective free et d’apports des musiques du monde, ce deuxième album confirme ce que pressentaient depuis belle lurette ceux qui suivent la carrière de Ragin, à savoir que cet intrépide souffleur est décidément un homme à surveiller.