Chronique

Nicholas Payton

Dear Louis

Label / Distribution : Verve / Universal

Louis Armstrong aurait-il eu cent ou cent un ans cette année ? Laissons aux historiens le soin de trancher sur cette question oiseuse. La date de naissance d’Armstrong a au fond beaucoup moins d’importance que son inestimable legs à la musique du XXe siècle. Faut-il rappeler les mots de Miles Davis, selon qui il est impossible de faire quoi que ce soit sur une trompette qu’Armstrong n’ait déjà joué avant ? En somme, le vieux poncif se vérifie : tous les jazzmen – à commencer par les trompettistes – seraient les enfants du bon vieux Satchmo. Originaire de la Nouvelle-Orléans, Nicholas Payton se réclame sans pudeur de cette filiation. Programmé en première partie du Grand Événement du Festival international de jazz de Montréal en 1996, Payton avait cependant su démontrer avec brio que sa fidélité à la tradition se doublait d’une volonté de pousser celle-ci plus loin, à la différence d’un Leroy Jones qui, sur la même scène en deuxième partie, s’était contenté de célébrer le passé sans chercher à renouveler la donne.

Car, un siècle après la naissance du grand Louis, trente ans après sa disparition et au lendemain de la réédition des plages qui l’ont immortalisé comme premier grand soliste de l’histoire du jazz enregistré, c’est bien à cette problématique que se voient confrontés tous ses successeurs, à plus forte raison ceux qui ont choisi de chausser ses pompes, ne serait-ce que le temps d’un hommage : que peut-on ajouter à ce que Pops avait si bien exprimé. Déjà esquissée dans de précédents albums tels Gumbo Nouveau ou Payton’s Place, la réponse de Payton est bien simple : aucune relecture valable du répertoire armstrongien ne peut faire abstraction des innovations de ceux qui l’ont suivi. Sur Dear Louis, des pièces aussi profondément identifiées à Satchmo que « Potato Head Blues », « Mack The Knife », « Tiger Rag » (et j’en passe) nous sont données à entendre dans d’astucieux arrangements, parés de certaines trouvailles harmoniques et rythmiques du jazz moderne, mais d’emprunts judicieux à la soul, au rhythm’n’blues, aux musiques afro-cubaines et même à la bossa nova. Par moments (je songe à ce merveilleux revamping de « Hello Dolly »), ces orchestrations signées Payton évoquent ces somptueux écrins sonores qu’avait tissé Gil Evans pour la trompette de Miles dans Miles Ahead et Porgy and Bess. Ailleurs, quand le leader s’envole dans les aigus (sur « Tight Like This » par exemple), on pense aux audacieuses acrobaties de Dizzy Gillespie dans le Gillespiana de Lalo Shiffrin.

En somme, plus qu’un simple hommage à Armstrong, c’est une célébration-récapitulation de toute l’histoire de la trompette jazz que nous offre ici Payton, qui compte ici sur le soutien de son combo régulier et d’une pléiade d’invités de marque triés sur le volet. Signalons d’ailleurs la présence sur quelques pièces de Dr John et de la divine Dianne Reeves, même si son « On the Sunny Side of the Street » pâlit en comparaison de l’interprétation du même titre par Cassandra Wilson sur le récent disque Terence Blanchard (Let’s Get Lost Sony Classical). De même, inspiré par l’exemple de Louis, le jeune Payton (qui, en plus de la trompette, joue ici du bugle, de l’orgue et des percussions) s’est laissé tenter par le chant sur deux plages. Quoiqu’il n’arrive même pas à la cheville de Gainsbarre sur « I’ll Be Glad When You’re Dead, You Rascal You » (« Vieille Canaille » en français et en reggae), quoiqu’il ne soit guère plus convaincant sur « I’ll Never Be the Same », on lui pardonne volontiers ces petites fantaisies pas trop désagréables, tant le reste de son album force notre adhésion.
Oh, yeah ! comme disait l’autre…

par Stanley Péan // Publié le 22 juillet 2001
P.-S. :

Nicholas Payton (trompette, bugle, chant, batterie, vibraslap) ; Tim Warfield (saxophones soprano et ténor, flûte) ; Bill Easley (saxophone alto, flûte, clarinette) ; Scott Robinson (saxophones baryton et contrebasse, flûte, clarinette basse) ; Ray Vega (trompette, bugle, guira) ; Paul Stephens (trompette, bugle) ; Vincent Gardner (trombone) ; Bob Stewart (tuba) ; Anthony Wonsey (piano) ; Melvin Rhyne (orgue) ; Peter Bernstein (guitare) ; Reuben Rogers, Walter Payton (basse) ; Adonis Rose (batterie, clave) ; Kenyatta Simon (triangle, percussion). Invités spéciaux : Dr. John, Dianne Reeves (chant)