Scènes

2e Off-Festival de jazz de Montréal

l’autre festival de Montréal, organisé par les musiciens du cru.


Pour la deuxième année consécutive, le Festival International de Jazz de Montréal rencontre la fronde des musiciens locaux qui estiment que le grand festival les délaisse au profit des musiciens étrangers. Ils ont réagi en créant leur propre festival. Ce n’est pas le public qui s’en plaindra.

« Si je croisais Alain Simard ou André Ménard, je les saluerais sans la moindre hostilité. On a décidé de monter notre propre truc, en marge du leur. On ne leur en veut pas. Mais on ne leur doit rien et vice versa. » Prononcées l’an dernier à la veille de la clôture de la première édition du Off-Festival de jazz de Montréal par le claviériste Pierre St-Jak, ces paroles empreintes de sagesse apparaissent aujourd’hui comme le préambule idéal à la deuxième édition de cette manifestation. Inutile de s’étendre sur le mécontentement des musiciens montréalais à l’égard du Festival international de jazz de Montréal. Lassés par l’indifférence de l’équipe Spectra vis-à-vis de leurs récriminations, St-Jak et ses comparses le vibraphoniste Jean Vanasse, le claviériste François Marcaurelle et le bassiste Normand Guilbeault ont mis sur pied ce modeste festival parallèle qui a retenu l’attention l’été dernier. La preuve en est que la direction du FIJM a tenté ce printemps une approche auprès des musiciens récalcitrants. « Ils nous ont offert de rapatrier le Off-Festival dans la programmation officielle, d’expliquer Normand Guilbeault, porte-parole et leader du groupe. On a écouté ce qu’ils avaient à proposer mais on n’a pas réussi à s’entendre, pour toutes sortes de raisons. Ce n’est pas grave. On va continuer chacun de notre bord. L’Off-festival est là pour rester. »

Et comment ! Non seulement la manifestation revient pour une deuxième année, mais elle prend du poil de la bête. Au cabaret Le Lion d’Or, qui a servi de théâtre exclusif à l’événement l’an dernier, s’ajoutent deux autres lieux situés également sur la rue Ontario Est : le Centre de diffusion artistique L’Alizé et la brasserie Le Cheval Blanc où seront présentés deux séries de concerts gratuits grâce à un partenariat avec la Guilde des musiciens québécois. Si les organisateurs du Off prennent soin d’insister sur le fait qu’ils ne mènent pas une guerre contre le FIJM, leur choix de programmer des concerts à l’heure de l’apéro puis en début de soirée (plutôt qu’après minuit comme l’an dernier) les fait néanmoins entrer en concurrence directe avec le programme du Festival officiel. Voilà qui ajoutera à l’embarras du choix que vivent pendant ces dix jours estivaux les jazzophiles montréalais, qui passent le reste de l’année dans une espèce de sevrage.

C’est au saxophoniste Yannick Rieu qu’on a confié le soin de donner le coup d’envoi officiel de l’événement, avec rien de moins qu’un programme double. Au Lion d’Or le 28 juin à 20h30, Rieu se produira d’abord en formation acoustique avec le guitariste Sylvain Provost et le bassiste Norman Lachapelle, deux virtuoses et complices de longue date ; puis, pour le deuxième concert, Rieu sollicitera une formation élargie, son Non-Acoustic Project, avec Daniel Thouin aux claviers, Al Baculis à la basse, Ben Charest à la guitare, Maxime St-Pierre à la trompette et Tony Albino à la batterie. Au fil de la dizaine de soirées qui suivront, Le Lion d’Or présentera quotidiennement deux concerts par soir. Parmi les musiciens à l’affiche, signalons : le pianiste suisse Moncef Genoud à la tête d’un quintette québécois ; le François Marcaurelle Quartette ; le big band de la saxophoniste Christine Jensen ; les duos iconoclastes jumelant le clarinettiste canadien François Houle et le pianiste français Benoît Delbecq (qui ont récemment signé le disque Nancali) puis le guitariste René Lussier et le dj-bruiteur Martin Tétreault ; le Vanassextet de Jean Vanasse avec le guitariste Sylvain Provost, le saxo Richard Savoie, le bassiste Normand Guilbeault, le clarinettiste Mathieu Bélanger et l’omniprésent batteur Pierre Tanguay ; le Jefferson / Grant Quintet, combo de « jeunes loups » du jazz montréalais réunissant le tromboniste Kelsley Grant, le saxophoniste Kelly Jefferson, le pianiste Guy Dubuc, le contrebassiste Georges Mitchell et le batteur Martin Auguste ; le No Band’s Land, nouveau groupe du guitariste André Duchesne, avec le trompettiste Némo Venba, le saxophoniste et flûtiste Jean Derome, le guitariste Francis Grandmont et le batteur Pierre Tanguay ; les Dangereux Zhoms du même Jean Derome avec Pierre Cartier à la basse, Guillaume Dostaler au piano, Tom Walsh au trombone et Pierre Tanguay à la batterie ; Interférences Sardines, jeune formation de la ville de Québec, regroupant de Philippe Venne à la guitare, Andrée Bilodeau à la voix et au violon alto, Sébastien Doré à la basse, Frédéric Lebrasseur à la batterie, Marc Gagnon au violon électrique et Jocelyn Guillemette au saxophone.

À l’heure de l’apéro, les festivaliers désireux d’échapper un moment à la chaleur torride de l’été montréalais sans sacrifier le plaisir de la note bleue pourront se réfugier au Cheval Blanc, où l’on entendra notamment : le trio du guitariste Sylvain Provost avec le bassiste Norman Lachapelle et le batteur Alain Boyer ; un autre trio qui en plus de jazzer fera sûrement jaser, celui du saxophoniste Dave Turner, avec le batteur Dave Lang et le trompettiste Kevin Dean métamorphosé en organiste d’un soir ; une version quartet de la formation Sky Beneath My Feet qu’on avait eu le bonheur de découvrir au Off-Festival l’an dernier, sous la direction du sax Joel Miller, soutenu par le bassiste Tommy Babin, le batteur Thom Gossage et leur invité Nat « DJ Mercury » Miller à l’échantillonnage ; et puis, rendez-vous exceptionnel, le Quatuor de contrebasses réunissant Michel Donato, Normand Guilbeault, Norman Lachapelle et Frédéric Alarie.

Enfin pour les couche-tard, à compter de minuit – ‘round midnight, serait-on tenté d’écrire –, L’Alizé présentera notamment : l’ensemble Positive Vibrations du vétéran trompettiste et professeur émérite de l’université Concordia Charles Ellison ; l’Altsys Jazz Orchestra, big band spécialisé dans l’interprétation d’œuvres canadiennes et dans l’exécution de pièces de grands maîtres (Georges Russell, Gil Evans, Charles Mingus et Dizzy Gillespie), sous la direction de la saxophoniste alto Jennifer Bell et de son conjoint le trompettiste Bill Mahar ; l’extraordinaire groupe NOMA, dirigé par Tom Walsh (« le Miles Davis du trombone »), présentera les pièces d’un premier disque qui se fait attendre, en compagnie des guitaristes Guy Kaye et Rainer Weins, des bassistes Alan Baculis et Normand Guilbeault et des batteurs Pierre Tanguay et Thom Gossage ; enfin, autre primeur à ne pas manquer, le concert New Ghosts réunissant trois prodigieux souffleurs, le clarinettiste Mathieu Bélanger et le saxophoniste Charles Papasoff et le trompettiste Ivanhoë Jolicoeur, qui avec le soutien de Normand Guilbeault à la contrebasse et de Claude Lavergne à la batterie honoreront la mémoire d’Albert Ayler dans le cadre d’un projet spécialement conçu pour l’Off-Festival de Jazz.

Et puis, conformément à cette tradition naissante qui rappelle l’époque de la beat generation, l’Off-Festival se terminera par un concert mêlant jazz et poésie. Intitulé Les Jazzeux Amériquois, l’événement de clôture réunira sur la scène du Lion d’Or le 8 juillet les poètes José Acquelin, Fortner Andersen, Patrice Desbiens et Christine Germain, et les musiciens Pierre St-Jak, Normand Guilbeault, Jean Vanasse, Jean Derome, Richard Savoie, François Marcaurelle et Tom Gossage. Là encore, on nous promet que ça va déménager !

S’il faut en croire Albert Camus, l’habitude commence à la deuxième fois. Faisant abstraction des bisbilles qui ont donné naissance au Off-Festival, l’amateur de jazz se bornera à souhaiter à ses organisateurs que leur projet continue à prendre de l’expansion et à se bonifier au fil des ans. À voir la programmation de cette deuxième édition, on constate que c’est bel et bien parti pour ça !