Chronique

James Brandon Lewis

Divine Travels

Label / Distribution : Okeh Records

Au moment où sort aux éditions de l’Eclat le livre Jazz Supreme de Raphaël Imbert, réflexion exemplaire sur la spiritualité dans le jazz (Citizen Jazz y reviendra), Divine Travels pourrait en être la pertinente bande sonore.

De ces dix morceaux, prenons le cinquième, « Wading Child in the Motherless Water ». On pense vite à Albert Ayler, non pas par la sonorité du saxophone ténor, moins expressionniste chez James Brandon Lewis, mais plutôt pour le traitement de la mélodie : cette manière de la mâchonner, de la ruminer, d’en extraire tout le jus pour n’en conserver que la fibre, comme on ne garderait de la vie entière d’un homme accompli que l’enfance nue. Ce morceau qui, fiché au centre exact du disque, dépasse en longueur tous les autres, est le cœur qui propulse dans les artères de la musique de Lewis le sang noir de ses racines. S’y mêlent deux spirituals, « Sometimes I Feel Like a Motherless Child » et « Wade in the Water », qui nous rappellent que Lewis a appris la musique à l’église et commencé sa carrière dans des groupes gospel. Plus qu’un point de départ, la musique sacrée semble être le but toujours renouvelé du voyage à peine entamé de ce jeune saxophoniste de 30 ans et des poussières. Il y revient sans cesse, tout au long de ce beau disque, comme à une source vive et fraîche.

Spiritualité, donc, mais aussi échappées belles et indociles du free sont ici conviées. Ainsi que les mots de Thomas Sayers Ellis, déposés au creux des lignes de saxophone zigzagantes en un geste de poésie beat. On pense alors aux poèmes scandés en 1958 par Langston Hughes sur Weary Blues, en compagnie de Charles Mingus et du saxophoniste Shafi Hadi. Les mots, comme sur « The Preacher’s Baptist Beat », sont alors posés tranquillement, précis, comme taillés au scalpel, lâchés comme du bout de la langue, entre détermination et fatalité. Ailleurs, c’est le jazz des lofts qui s’invite et, comme son aîné des années 70, Lewis sait faire danser quelques mélodies fantômes (« Enclosed »)…

Le trio de Divine Travels est à l’image même de cette synthèse historique, de ce grand écart entre spirituals et free jazz, entre églises et lofts, entre work songs et black poetry. Aux côtés du jeune Lewis, on retrouve deux vétérans de la Great Black Music : le contrebassiste William Parker et le percussionniste Gerald Cleaver. En s’embarquant pour ce voyage, il ne s’y sont pas trompés : James Brandon Lewis signe ici un magistral deuxième album, fort à la fois de prometteuses tempêtes et d’une imposante sérénité.