Chronique

Giovanni Guidi

Ojos de Gato

Giovanni Guidi (p), James Brandon Lewis (ts), Gianluca Petrella (tb), Brandon Lopez (b), Francisco Mela (perc), Chad Taylor (dms)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Proposer un hommage à un musicien sans réinterprétation représente un sacré exercice de style ; de ceux que Giovanni Guidi aime à relever. Figure centrale de la jeune scène transalpine, le pianiste avait déjà été adoubé par Enrico Rava et avait montré, dans ses précédents albums pour CamJazz, une certaine propension à bien s’entourer, du Unknown Rebel Band de 2009 avec Michele Rabbia et Giovanni Meier jusqu’à sa rencontre plus récente avec Louis Sclavis et Gerald Cleaver. Cela se confirme ici avec Ojos de Gato, libre évocation de Gato Barbieri, dont le pianiste signe tous les morceaux avec un sextet en forme de All Stars : aux indéfectibles amis américains, le saxophoniste James Brandon Lewis et le batteur Chad Taylor, s’ajoute une autre paire soufflant/batterie, italienne cette fois. Le tromboniste Gianluca Petrella, ancien de l’ONJ Damiani, a croisé Guidi chez Enrico Rava. Quant au percussionniste Francisco Mela, c’est un comparse régulier du contrebassiste Brandon Lewis qui incarne la dernière lame de cet orchestre où l’on se sent en famille.

Qui mieux que James Brandon Lewis (JBL) pourrait incarner Gato Barbieri dans un hommage ? Personne, nous répond « Revolución »qui ouvre l’album avec une musique lumineuse et pleine d’espoir. Dans le cadre rythmique imposé par la main gauche autoritaire de Guidi, JBL balaie tout d’un souffle rauque et puissant. Nous voici projeté dans une couleur que l’on connaît bien, celle des années Impulse !, avec le Liberation Music Orchestra, ou peut-être davantage encore dans le Jazz Composer’s Orchestra de Carla Bley et Roswell Rudd. D’ailleurs, le rôle de Petrella, en soutien de JBL puis en gardien du temple d’une ligne mélodique fiévreuse, n’est pas anodin. Ce que Guidi interroge ici, c’est la relation de complémentarité entre saxophone et trombone, dont Barbieri et Rudd ont largement témoigné. Ce qui est particulièrement intéressant, à l’image de « Buenos Aires », c’est qu’il ne s’agit pas de rester dans une zone de confort ou de remuer les nostalgies, puisque le sextet n’est pas voué à mettre les soufflants en orbite. Même sur « Paris Last », où JBL et Petrella s’en donnent à cœur joie, le travail des batteurs et de la contrebasse de Brandon Lopez est décisive, et pas seulement lorsque le propos s’oriente sur des rythmiques latino-américaines.

Ojos de Gato n’est pas à proprement parler un disque d’hommage ; c’est une déclaration d’amour : à une époque, à un engagement, à une certaine énergie. Dans « Roma 62 », dédicacé à Rava (qui a longtemps joué avec Barbieri), Guidi s’amuse avec la contrebasse soudain très douce de Lopez, petite oasis avant de nouveau porter le fer de la rigueur rythmique, dans le très free « Café Montmartre » qui lui répond. C’est aussi un morceau qui rappelle le goût de Barbieri pour le cinéma italien, de Bertolucci à Ferreri. C’est d’ailleurs une piste très intéressante pour l’écoute de ce disque en tout point luxueux : celle d’une sorte de biopic musical d’un musicien totémique, avec ce qu’il faut de fiction et de mise en scène. Et un casting idéal pour ce genre d’exercice.