Chronique

Jason Moran

Artist In Residence

Jason Moran (p), Tarus Mateen (b), Nasheet Waits (d), Marvin Sewell (g), Alicia Hall Moran (voc), Ralph Alessi (tp), Abdou M’Boup (perc), Joan Jonas (perc)

Label / Distribution : Blue Note

En quelques années, Jason Moran s’est imposé comme l’un des chefs de file des jeunes musiciens de jazz contemporain. Ses mentors (Jaki Byard, Andrew Hill, Muhal Richard Abrams, Greg Osby) lui ont donné une vision large et progressive d’un jazz porté par la tradition plus qu’il n’y est ancré, ainsi que le sens du dialogue avec les musiques classique et populaire.

Là où ses quatre précédents albums proposaient une seule formule à la fois, Artist In Residence en rassemble plusieurs : solos, duos atypiques, quartets et sextet se succèdent tel un patchwork. Peut-être devrait-on plutôt dire une galerie, car le titre, la pochette et la répétition de certains thèmes suggèrent un album à explorer comme une exposition d’art, plutôt qu’un parcours à suivre de façon linéaire, de la première à la dernière piste.

« RAIN » est la pièce de résistance d’Artist In Residence, ainsi qu’un brillant exemple de la flexibilité du Bandwagon, où les individualités peuvent se désolidariser jusqu’à la cacophonie, puis se ressouder en un instant pour créer un groove irrésistible. Ralph Alessi joue une mélodie triste et circulaire qui va en s’accélérant, invitant d’abord à la méditation, puis à la danse - une approche appropriée à ce morceau inspiré du ring shout. Ce morceau est suivi d’un spiritual classique, un « Lift Ev’ry Voice » au blues cathartique.

« Artists Should Be Writing » utilise une des techniques les plus distinctives de Moran, la voix enregistrée comme matériau musical. Ici, il s’agit d’un discours d’Adrian Piper sur la nécessité d’éliminer les barrières séparant l’artiste du reste de la société. Bien qu’il date des années 70, les propos de Piper sont on ne peut plus d’actualité à l’époque des blogs et d’Artist Share. Le pianiste s’accroche au rythme de Piper et profite de sa voix nasale et monocorde pour créer un flou harmonique attrayant. Moran repend le même texte pour « Breakdown », mais le découpe et le met en boucle comme DJ Premier avec une section de cuivres, maximisant ainsi l’impact des paroles de Piper, en interaction avec l’accompagnement funky du quartet.

« Breakdown », « RAIN » et « Lift Ev’ry Voice » rattachent Moran à la tradition et à la modernité afro-américaines, mais « Milestone », écrit et chanté par Alicia Hall Moran, relie le chant lyrique à la guitare blues : la première note de Marvin Sewell résonne étonnament bien aux côtés de la dernière note de la soprano.

Si les morceaux en groupe ont tendance à s’enflammer, ceux en solo ou duo préfèrent hypnotiser et envoûter. « He Puts On His Coat And Leaves » y parvient en oscillant rêveusement entre deux accords, tandis que sur « Refraction 1 », Joan Jonas ajoute des cloches et des percussions d’ambiance qui participent d’une atmosphère un peu féérique. Ce n’est que sur « Cradle Song » que le conceptuel prend le pas sur le musical : en bruit de fond, le son d’un crayon sur du papier qui devient vite irritant, surtout si on ne sait pas qu’il représente les notes que prenait la mère de Moran pendant les premiers cours de piano de son fils.

Sans être l’album le plus impressionnant de Jason Moran, Artist In Residence fournit un tour d’horizon bienvenu.