Péala, Angelini & Bearzatti
Move Is
Thierry Peala (voc), Bruno Angelini (p), Francesco Bearzatti (ts, cl)
Label / Distribution : Re:think-art Records
Move Is. Movies.
Tristes, contemplatifs, haletants, amusants, féroces.
Move Is… Le mouvement est…
Celui des choses, des hommes, des caméras qui les filment. Celui du temps qui renforce le charme des choses bien pensées.
Quand trois musiciens en mouvement perpétuel passionnés de cinéma posent leurs notes sur des scènes qu’ils affectionnent, ou mettent en musique les sentiments que certains films leur inspirent, les sons deviennent des images, des décors, des histoires, des personnages, des ambiances. D’autant que chacun fait preuve d’une grande sensibilité et que l’instrumentation, sans section rythmique, laisse la musique ouverte tout en lui conférant une sorte d’intemporalité, gage de cohérence dans un répertoire inspiré aussi bien par les années 50 que par des productions plus récentes.
Thierry Péala, qu’on sait coutumier de ce format intimiste, bénéficie de fait d’un large champ d’expression dont il use à bon escient pour prêter ici sa voix très juste et moelleuse aux textes de Gill Gladstone, Viviane Moscatelli, Joelle Peter et Laura Littardi. Ces chansons, interprétées en italien, en français ou en anglais, alternent avec des titres où la voix se fait instrument, expose le thème à l’unisson avec le saxophone ou la clarinette, épouse les courbes élégantes des phrases du piano et s’en détache lors d’improvisations très musicales (cf le solo croisé Peala/Bearzatti sur « Done It Right ! », titre inspiré par Do The Right Thing de Spike Lee.
Bruno Angelini pose ici son empreinte en signant dix de ces douze compositions, bien sûr, mais contribue aussi à la réussite de l’album en exploitant pleinement son instrument afin de déployer une impressionnante palette d’émotions (percussif et jovial sur « Guardieladi », il sait aussi se faire délicat, par exemple sur « A Special Day »). Il prend peu de chorus à proprement parler, mais superpose ou enchaîne joliment les phases de jeu, illustrant le propos avec poésie - cf. la jolie partie imagée de « See Berg » tandis que Thierry Peala (délicieux accent de titi parisien) et Viola Costa rendent hommage à Jean Seberg et aux dialogues de Godard - ou insufflant une dynamique rythmique et un ton toujours pertinents.
Le « sax pistol » Francesco Bearzatti a un caractère bien trempé ; ses chorus et contre-chants équilibrent admirablement les morceaux et leur ajoutent une épice essentielle. Son magnifique solo de clarinette sur « Il Fanfarone », ou le subtil enchaînement de notes sourdes et ouvertes en introduction de « No Spring For Marnie » rappellent combien sa fantaisie et son sens du détail sont précieux.
Move Is est superbement interprété mais le trio peut se targuer d’avoir su allier à cette forme impeccable un propos lui-même très riche en multipliant schémas et approches comme tout bon réalisateur sait varier les angles de prise de vue. Les paroles de « Face à l’inconnu » (inspiré par Into The Wild , de Sean Penn), évoquent la force de l’être humain à travers la force de la nature, la nécessité de vivre à tout prix, le premier étant incarné par le chant, la seconde par le saxophone. Tous deux cohabitent en harmonie, avec des crescendos esquissant la splendeur des paysages traversés. Une improvisation de Peala traduit le sentiment de liberté ressenti par le personnage, mais les dernières notes, dissonantes, de Francesco Bearzatti, rappellent que cette nature peut aussi être cruelle, et renvoient à la fin tragique du film. Sur « Umberto » - hommage émouvant à Umberto D ; sous les doigts d’Angelini naît une nostalgie poétique rappelant la détresse du professeur mais aussi la puissance des sentiments qui finiront par le sauver. A cette évocation succède celle de Gena Rowlands dans le Gloria de son époux, John Cassavetes. La musique est alors chahutée, mouvante, comme le personnage pris dans la tourmente.
Ainsi s’enchaînent avec intelligence les plans larges appréhendant dans son ensemble la thématique du film choisi, gros plans sur des individus réels ou fictionnels, plans-séquences astucieux permettant aux instruments de passer du premier au second plan sans casser la cohérence du récit (cf « No Spring For Marnie » et son impeccable passage de relais entre le saxophone, la voix et le piano qui se font tour à tour rythmiques ou solistes). La présentation soignée de la pochette en trois volets, où se déroule le story-board de l’enregistrement (magnifiques crayonnés sur fond blanc cassé), achève de parfaire ce disque, dont on imagine qu’il traversera le temps comme les chefs-d’œuvre du cinéma qu’il invoque…