Entretien

Joachim Florent, bassiste designer

La présentation de son nouveau trio Designers est l’occasion de revenir sur le parcours musical du bassiste.

Joachim Florent © Christophe Charpenel

On l’a connu dans les années 2000 avec le trio Jean-Louis. On l’a croisé avec Radiation 10 et la compagnie Impérial dans laquelle il œuvre avec entre autres Damien Sabatier, Gérald Chevillon et Antonin Leymarie. Il fait partie de ces musiciens qui bousculent. Retour avec lui sur ce qui est constitutif de son parcours et sa musique.

- De l’extérieur on perçoit votre parcours musical entre le collectif COAX et la compagnie Impérial. Sont-ce deux pôles forts de votre identité musicale ?

C’est relativement juste. Pour COAX, je tiens à préciser que je n’ai jamais été impliqué dans la gestion du collectif au jour le jour comme Yann Joussein ou Julien Desprez. Pour moi, ça fonctionne comme un réseau. À la sortie du Conservatoire, nous avons monté Radiation 10 avec des amis comme Benjamin Flament, Hugues Mayot, Clément Janinet etc… C’est cet ensemble qui a ensuite engendré le collectif COAX dans son sillage. Puis Radiation 10, qui portait quelque chose de profondément utopiste, s’est arrêté et COAX a poursuivi sa vie telle qu’on la connaît, comme coopérative de musiciens improvisateurs. Quant à la Compagnie Impérial, j’avais rencontré Damien Sabatier et Gérald Chevillon pendant mes études à Lyon. On ne s’est jamais perdus de vue et des années plus tard nous avons constitué Impérial Quartet suite à une invitation du batteur Antonin Leymarie, puis plusieurs projets connexes se sont agglomérés pour donner la Compagnie Impérial. Mais à propos de mon identité musicale, il faut aussi citer Jean-Louis, trio que j’ai mené pendant une dizaine d’années avec Aymeric Avice et Francesco Pastacaldi. Ça a été fondateur.

Je ne voulais pas être un ouvrier surqualifié de la musique, interchangeable

- Votre parcours, c’est aussi le CNSM de Paris ?

Avant Paris, j’ai fait des études à l’ENM de Villeurbanne en parallèle à des études d’ingénieur à Lyon. J’ai terminé les deux cursus en même temps et immédiatement j’ai passé le concours du CNSM. J’ai été pris. J’y étais avec notamment Hugues Mayot et Aymeric Avice. On est de la même génération. A la fin du CNSM, je n’avais pas envie de me diriger vers une carrière de musicien classique. On a alors fondé Jean-Louis et de fait on avait du temps à consacrer à ce projet, qui finalement m’a mis le pied à l’étrier. Au CNSM, on nous enseignait l’idée de faire le métier de musicien et c’est quelque chose que j’ai rejeté. Je ne voulais pas être un ouvrier surqualifié de la musique, interchangeable, pour animer des concerts et des soirées. J’aurais craint en effet la dissolution de la volonté artistique. Il me semble fondamental que nous soyons des artistes autant que des artisans. J’aime la musique grâce à John Coltrane, Charlie Mingus, grâce à des musiciens qui se sont engagés dans leur art, physiquement et spirituellement. Finalement on a préféré forcer le trait pour trouver une véritable identité de groupe.

Joachim Florent © Christophe Charpenel

- Après avoir étudié les « classiques », fallait-il rompre avec eux pour développer un style plus personnel ?

A un moment j’ai eu envie de désapprendre, sans doute pour me concentrer sur d’autres problématiques plus éloignées de la tradition du jazz ou qui la mettent en perspective avec d’autres styles musicaux qui m’ont également beaucoup nourri. Je suis passé bien sûr par les standards et c’est un apprentissage qui a été constructif. Mon professeur d’instrument était Riccardo del Fra. C’était un super prof, fan de cette musique et qui nous a transmis, parce qu’il les admire, l’importance des standards du jazz. En fait, même si mon style apparaît loin du jazz classique, il est présent et jamais bien loin.

- Peut-on dire que vos musiques sont aventureuses et, au risque d’employer de manière détournée un terme qui porte une charge historique forte, expérimentale ?

Musique aventureuse, c’est sûr. Je ne sais pas précisément ce que ça signifie mais le terme me parle. La musique c’est une aventure, oui. Expérimentale, c’est plus compliqué. Je pense que ce terme est souvent utilisé de manière inappropriée pour qualifier une musique qui sort de l’ordinaire ou qui s’éloigne de ce qu’on peut entendre sur les canaux de diffusion commerciaux. Car qu’est-ce que c’est la musique expérimentale ? Radiation 10 était plus expérimental que l’Impérial car on y défriche tout le temps. Peut-être ? Avec l’Impérial on mélange les rôles entre les instruments, on a une architecture spectrale originale. On travaille le matériau musical ensemble. Si on part de mélodies qu’on développe, on a des combinaisons assez barrées mais on n’est pas forcément dans l’expérimentation. C’est quelque chose qu’on pratique beaucoup en répétition, mais lorsque nous montons sur scène nous essayons de présenter quelque chose d’abouti au public, tout en conservant un maximum d’ouverture pour l’improvisation.

- J’évoquais en début d’entretien la compagnie Impérial et le collectif COAX. Mais il y a le solo qui semble constitutif aussi de votre carrière et ce d’autant plus que, contrairement au piano ou à la guitare par exemple, l’exercice solo à la contrebasse n’est pas fréquent.

Pas commun mais je suis loin d’être le premier à avoir développé le solo à la basse. Mes prédécesseurs sont mêmes nombreux. Je pense par exemple à Bruno Chevillon, Joëlle Léandre ou encore Barre Phillips, Barry Guy, Stefano Scoddanibbio. Je les cite volontiers car ils m’ont inspiré. Pour ma part, je pratique le solo depuis longtemps mais occasionnellement. J’aime bien mais je ne ferai pas que ça car j’aime jouer avec d’autres. En revanche, je peux dire que c’est un challenge d’être seul face au public. Quant à la contrebasse, il y a un gros potentiel, au niveau de la tessiture notamment, et il reste beaucoup de choses à inventer.

j’ai l’espoir d’aller là où personne n’est jamais allé

Il faut avoir en tête qu’au départ la contrebasse est un instrument d’accompagnement. Il s’agit même à l’origine de doubler les basses, d’où le nom d’ailleurs de « double bass ». Le jazz a permis aux contrebassistes de s’en émanciper, notamment à travers la « walking bass ». Aujourd’hui, je me permets d’envisager la contrebasse comme un gros banjo, une grosse guitare, un oud. D’ailleurs quand je regarde un joueur d’instrument à cordes, je regarde son jeu, comment il se déplace sur le manche par exemple. Je ne transpose pas tel quel, bien sûr mais ça m’influence.

Joachim Florent © Christophe Charpenel

- On a parlé de l’Impérial. Il s’agissait surtout du quartet. Or le dernier projet de la compagnie c’est le GRIO pour Grand Ensemble Impérial Orchestra. Comment le projet est-il passé du quartet à cet ensemble ?

Ça faisait un bout de temps qu’on jouait avec des invités dans le quartet, le temps d’un set ou d’un concert. Avec l’Impérial Pulsar on avait déjà augmenté le volume. Au Mali par exemple, on a introduit deux guitares. En tout cas on voulait plus de jazz. Et puis, dans le cadre d’une tournée en Finlande, on a vu un concert de l’ensemble de Mikko Innanen. On s’est dit qu’on voulait faire quelque chose qui s’en inspirait. On a cherché un pianiste et on a travaillé avec Aki Rissanen. De mon côté j’avais envie de retravailler avec Aki, que j’ai rencontré il y a une quinzaine d’années, et on a préféré avoir un pianiste car l’accordéon se fondait trop avec les cuivres. En fait on a invité des musiciens avec lesquels on avait déjà travaillé et avec qui nous nous sentions proches. Ensuite dans le GRIO on a une connotation plus jazz. Moi par exemple je suis à la contrebasse et non plus à la basse électrique et il y a la volonté de rendre hommage à Duke Ellington, Charlie Mingus, Carla Bley. Il y a aussi une réflexion autour de l’écriture musicale avec une grande part accordée au contrepoint rythmique.

- Et en dehors de ces projets ?

Je monte « Designers », un nouveau trio avec Aki Rissanen et Sylvain Darrifourcq. C’est une forme canonique et pas incongrue car il s’agit d’un trio piano, basse, batterie et ça vient en écho au fait que j’ai découvert le jazz notamment par le trio de Bill Evans.

- Le trio piano, basse, batterie est certainement une forme canonique. En revanche, le choix des musiciens, notamment Sylvain Darrifourcq, laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une forme traditionnelle.

Ce sont en effet deux personnalités très fortes. Je nous rassemble autour d’un trio dont la forme est canonique mais j’ai l’espoir d’aller là où personne n’est jamais allé ; Sylvain est un des batteurs les plus créatifs que je connaisse. Il a un regard et un recul exceptionnel sur le jazz et ses différentes formes, tout comme Aki qui en plus d’avoir un son magnifique et un sens rythmique exceptionnel, a un gros bagage classique et s’intéresse tout comme moi aux musiques africaines et à la musique répétitive.