Chronique

Karl Jannuska

Liberating Vines

Karl Jannuska (dm), Kelly Jefferson (ts), Brodie West (as), Fraser Hollins (b), John Sadowy (p,org), Christine Jensen (ss)

Label / Distribution : Effendi Records / Abeille

Le jeune batteur canadien Karl Jannuska, est en passe de devenir une référence dans le milieu du jazz « francophone ». Enumérer les musiciens avec lesquels il a évolué relève déjà du travail d’archiviste, aussi peut-on se contenter de quelques noms représentatifs : Lee Konitz, François Théberge, Serge Forté, Jean-Christophe Beney…
En septembre 2004 paraît « Liberating Vines », son premier album personnel, enregistré à Montréal un an auparavant, avec le quartet du même nom.

A travers ces douze compositions originales, on pourrait être tenté de réduire le propos musical à une opposition schématique entre le visage « jazz conventionnel, propre sur lui » et la face « flyée » (barrée, N.d.T.) de Janus. Les mauvais « bons mots » font oublier l’essentiel ; en l’occurence, ici, la musique participe d’un grand tout, d’une oeuvre mature mais non assagie, maîtrisée et sans réels calculs, invitant au voyage sans verser dans le tourisme. Alors certes, « Leaving Yverdon » et « Less », où le piano de John Sadowy s’invite, sont de calmes et sentimentales ballades, mais à l’écriture raffinée et élégante, loin des clichés du genre.

« Little Player » et surtout « Aka » évoquent les rythmes d’Afrique avec une touche d’Abdullah Ibrahim, et on se délecte de ces arrangements polyphoniques dans la superposition des saxes (Kelly Jefferson, Brodie West, et Christine Jensen en invitée sur le premier morceau cité). On retrouve ce dernier aspect dans « Nickel Days » ou « Grover’s Corners Eternal », deux morceaux qui ont peut-être évoqué pour certains le nom d’Ornette Coleman, mais - et ceci en toute neutralité - cela grince beaucoup moins que sur « Lonely Woman » ou « Free Jazz ».

Enfin, on peut isoler quelques morceaux absolument fascinants de par le caractère hypnotique des rythmes et des thèmes, quasiment six standards de demain : « Late Morning » et son arpège de piano « absolument moderne » (cousin de EST…), « Liberating Vines » et son riff de basse « tubesque », sur un 7/8 des plus déstabilisants, le solo de batterie planant de « Meshugah », la fin en spirale de « Edible Sculptures », « Diamond in the Rough » dont le début évoque « Campanella » de Simon Goubert. « Dvx 80 x » est un morceau à part, un orgue psychédélique lorgne du côté des seventies, alors que Jannuska, horloger céleste, imprime une mécanique implacable mais qui donne l’impression de se décaler dans le temps, tel un mouvement de précession.

Si cette musique semble très écrite, elle offre de nombreux moments propices à l’improvisation et n’exclut donc pas une interprétation « live », bien au contraire. C’est donc avec impatience que l’on attend le prochain concert du « Liberating Vines » quartet, qu’il soit dans sa configuration canadienne ou française (Thomas Savy, Matthias Allamane, Olivier Zanot).