Chronique

Charles Lloyd/Eric Harland/Zakir Hussain

Sangam

Label / Distribution : ECM

Nombreux sont les commentaires dithyrambiques qui ont suivi le concert du trio Lloyd/Hussain/Harland au Paris Jazz festival le 15 juillet 2006 [1]. Les absents peuvent se consoler avec Sangam, un enregistrement issu d’un concert donné en mai 2004 à Santa Barbara.

Jumping the Creek, sorti la même année, nous laissait un peu sur notre faim ; sage, voire mollasson sur un « Ne me quitte pas » par trop larmoyant. A contrario Sangam est un cri toujours (plus ?) vigoureux d’un vieux lion du jazz, peut-être « showman du free » [2], peut-être clone de Coltrane, mais qu’émotion et inspiration musicale n’ont jamais abandonné.

La signification de Sangam est explicite : « confluent » en sanscrit, mais aussi, à l’origine un lieu sacré où se réunissent le Gange, la rivière Yamunâ et le Sarasvatî mythique. Indépendamment de telles références mystico-spiritualistes, la musique proposée par le trio coule de manière fluide, comme jaillie d’une source abondante, riche en minéraux et pépites. Ses différents constituants s’entremêlent, à la fois solides (Eric Harland, roulements de pierres dans un torrent naissant), liquides (le flot du ténor) et granulaires (Zakir Hussain, sonorités fines et tranchantes).

Le disque commence par un déferlement incantatoire sur trois morceaux. Lloyd orientalise ses notes sur « Dancing On One Foot », joué au tarogato, une sorte de soprano en bois (« taragotte »). Suit un dialogue batterie/tabla de haute volée. « Tales of Rumi » (et « Sangam » en plus rapide) sonne très coltranien, avec des citations d’« Africa », des suraigus, grognements, heurts, descentes sauvages de gammes, repos méditatifs sur la pentatonique. Zakir Hussain, polyglotte rythmique, termine seul avec une éloquence rare.

Le bref « Nataraj » agit comme une vasque après les cataractes ; une classique mais somptueuse partie de piano vient apaiser le tumulte.
Puis vient l’insolite « Guman », porté par un motif pressant du piano, dans les graves, sur lequel se déploient le chant aérien de Zakir Hussain et une flûte exotique. Différent des autres, ce morceau est peut-être le sommet du disque. Ce qui signifie aussi que la suite ne retrouve pas tout à fait de telles intensités.

« Tender Warrior » et « Hymn To the Mother » proposent encore de beaux tourbillons « free » au ténor, puis des parties exclusivement percussives ; mais on commence à ressentir une certaine linéarité dans l’exposé du discours. Le disque s’achève tout de même sur le joli thème « Lady In The Harbour », suivi d’un « Little Peace », dernier instant d’évasion et de dialogue Hussain/Harland absolument tonitruant.

Sangam frôle donc bien par moment le sublime et restera comme un des meilleurs enregistrements (toutes périodes confondues) de Charles Lloyd et Zakir Hussain. On peut regretter, toutefois, que cette formule instrumentale originale ne tienne pas toujours la distance dans le cas d’un enregistrement copieux.

par Julien Lefèvre // Publié le 25 septembre 2006

[1voir par exemple l’article de Mathieu Durand.

[2Free Jazz Black Power, Philippe Carles et Jean-Louis Comolli