Scènes

L’ONJ fait son Wyatt

Le vendredi 23 janvier 2009, le nouvel Orchestre National de Jazz faisait sa première apparition sous la forme d’une répétition publique du projet « Around Robert Wyatt » à la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin.


Le vendredi 23 janvier 2009, le nouvel Orchestre National de Jazz (O.N.J) faisait sa première apparition sous la forme d’une répétition publique du projet Around Robert Wyatt à la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin. Son directeur artistique, Daniel Yvinec, avait pris soin de faire distribuer un petit texte en fixant les termes : « Si certains musiciens vous tournent le dos, ne vous formalisez pas, c’est pour mieux communiquer avec leurs semblables, indirectement vous devriez en bénéficier… Il est possible par ailleurs qu’il soit nécessaire de faire quelques mises au point au cours d’un morceau qui de fait ne sera pas donné dans son intégralité. (…) N’hésitez pas à déambuler dans ce lieu pour trouver un emplacement qui vous convient, à vous promener pour mieux voir ou mieux entendre. Vous pouvez même, si le cœur vous en dit, vous frayer un chemin, entrer dans la forêt des pupitres pour vivre quelques instants au cœur de l’orchestre… » L’enregistrement du disque qui sortira le 23 avril commence d’ailleurs aujourd’hui dimanche. Peu de spectateurs osèrent céder à l’invitation si ce n’est les photographes s’en donnant à cœur joie.

Daniel Yvinec/Vincent Artaud © F. Journo

Je rappelle les enjeux de ce premier projet en citant encore Yvinec : « Bien souvent, on enregistre des disques en posant dans un premier temps les bases instrumentales. On y ajoute ensuite la voix. Il m’a toujours semblé étrange de faire entrer le personnage principal à la fin du film. Around Robert Wyatt inverse le processus en utilisant les voix a capella comme point de départ. » Étrange impression onirique de voir les dix jeunes musiciens s’exécuter sous les limbes vocales de Wyatt, Daniel Darc, Yaël Naïm ou Rokia Traore. De tous ces bienveillants fantômes ne manquaient que Camille et Irène Jacob parmi les invités annoncés [sur le disque]. On se plaît à rêver à ce qu’en ferait un Bashung… Les arrangements de Vincent Artaud (sur la photo à droite d’Yvinec, avec le guitariste Pierre Perchaud) offrent l’avantage d’ignorer les originaux en ne se référant qu’aux voix, proposant des chansons une interprétation qui évite soigneusement un clonage forcément décevant.

Joce Mienniel © F. Journo

Jazz, tout en restant fidèle à la couleur « classique » européenne de l’arrangeur et en lorgnant vers une pop où tel crescendo me fait irrésistiblement penser à la fin de « A Day In The Life », l’École de Canterbury sachant parfaitement ce qu’elle doit aux quatre gars de Liverpool, la musique joue des effets d’ensemble plus que de chorus inutiles tant la voix est le soliste de ces évocations. À la pâte des cuivres s’ajoutent parfois les timbres étranges de Joce Mienniel transformant sa voix dans le logiciel Usine ou de la pianiste Ève Risser penchée sur les cordes de son instrument, lorsque l’une et l’autre n’assurent pas leurs parties de flûtes. Citons aussi Sylvain Daniel à la basse électrique et au cor d’harmonie, Antonin Tri Hoang, Rémi Dumoulin et Matthieu Metzger aux anches, et Guillaume Poncelet à la trompette. Le claviériste Vincent Lafont a finalement rejoint la petite bande en remplacement de Paul Brousseau tandis que la batteur Yoann Serra dirige ce passage rythmique.

Ève Risser © F. Journo

Écouter ainsi les chansons de Robert Wyatt ou celles de ses amis John Greaves et Elvis Costello produit une impression de voyage, un déplacement étrange que les voix désincarnées mais extrêmement présentes renforcent en émotion. Connaître véritablement de quel bois se chauffera l’ONJ exige d’entendre l’ensemble des trois projets 2009. De quelle liberté jouiront sur scène les interprètes ici plus musiciens de pupitres que personnalités engagées ? Les arrangements très écrits d’Alban Darche pour le second programme en hommage à Billie Holiday, Broadway in Satin, créé le 7 mars à Saint-Ouen [1], leur laisseront-ils une plus grande d’initiative ? Faudra-t-il attendre le film muet Carmen à l’Opéra Comique, dont les musiciens écriront eux-mêmes la partition sous les traitements électro-acoustiques du pianiste Benoît Delbecq pour découvrir toutes les ressources de ces jeunes gens pour la plupart encore inconnus du public ? Vous le saurez lors du énième épisode de cette excitante aventure !

par Jean-Jacques Birgé // Publié le 2 février 2009
P.-S. :


ONJ :

Daniel Yvinec : direction artistique
Vincent Artaud : arrangements
Eve Risser : piano préparé, flûtes, objets sonores
Vincent Lafont : claviers, électronique
Antonin-Tri Hoang : saxophone alto, clarinettes, piano
Matthieu Metzger : saxophones alto, soprano et sopranino, traitements électroniques
Joce Mienniel : flûtes, saxophones, claviers, électronique
Rémi Dumoulin : saxophones, clarinettes
Guillaume Poncelet : trompette, synthétiseurs, piano, électronique
Pierre Perchaud : guitares, banjo, dobro
Sylvain Daniel : basse électrique, cor d’harmonie, effets électroniques
Yoann Serra : batterie

Son : Gilles Olivesi

[1Ouverture du festival Banlieues bleues 2009.