Chronique

LABtrio

Fluxus

Bram De Looze (p, Fender Rhodes), Anneleen Boehme (b), Lander Gyselinck (dms)

Label / Distribution : Out There / Out Note

Si Fluxus a pu voir le jour, du moins sous cette forme, c’est grâce au jury qui a récompensé en 2011 LABtrio au Tremplin jazz d’Avignon, permettant ainsi à cette jeune formation (ou cette formation de jeunes musiciens, puisqu’elle existe tout de même depuis quelques années) d’enregistrer son premier disque aux studios de La Buissonne. On a vu pire.

C’est par un rythme aussi soutenu qu’esseulé, quelques notes éparses de contrebasse, des cordes caressées dans les entrailles du piano et des accents traînants de Fender Rhodes que démarre l’aventure. Le trio prend son temps et montre à travers ce premier titre éponyme qu’il n’est pas question pour lui d’emprunter les chemins de la facilité. La section rythmique entame immédiatement un dialogue tumultueux tandis que Bram De Looze alterne piano et Rhodes, entre notes tendues et textures saturées. Ce vrai départ est cependant une fausse piste ; c’est ensuite qu’apparaît vraiment l’intention. Le groupe oriente en effet son jeu vers des formules davantage basées sur l’interaction dans des flux rythmiques canalisés. Le Rhodes est d’ailleurs utilisé de manière ponctuelle, le pianiste privilégiant le versant organique de son éventail de sonorités. La beauté des filaments mélodiques véloces et limpides qu’il en tire lui donne raison. Outre cette entrée en matière et son épilogue, les couleurs du Rhodes sont mises à contribution dans un « Maple Syrup » (sirop d’érable) naturellement sucré, une incursion en terre funk dont la motricité s’articule autour de la contrebasse souveraine d’Anneleen Boehme, qui développe sur une grande partie du morceau une sorte de solo où se conjuguent phrasé et maintien du groove.

Vivante et soumise aux aléas du « trilogue », la musique suit parfois des directions inattendues. Les jeux de passe-passe rythmiques de « Kappotte Sauffage – De Loodgieter », qui succèdent à une introduction intimiste, voire minimaliste sont, en effet, autant de surprises. La majorité des morceaux sont d’ailleurs interprétés selon ce principe développement / recherche de climax, en trouvant dans l’épure ou dans la densité de beaux espaces pour laisser s’exprimer le talent. Ainsi, le trio exploite sur certains morceaux une matière première relativement simple, comme la petite phrase en harmoniques que la contrebasse susurre au terme de la belle introduction de « Anders », petite phrase reprise, étendue et complétée par le piano, et autour de laquelle se cristallisent peu à peu les trois discours. « Pi » est, quant à lui, le théâtre d’un autre procédé architectural : conçu comme un concerto pour batterie, il met en exergue le vocabulaire étendu et l’éventail de sonorités de Lander Gyselinck, tant sur les fûts que sur les cymbales. Imprévisible et nerveux, son jeu peut aussi se montrer délicat, et sa pulsation lente et régulière, sur un étonnant son de caisse claire (comme s’il la frappait avec une botte de carottes), alliée à une phrase-thème cyclique doublée par la voix de Boehme, fait de « For Those Two Polar Bears » une parenthèse calme et poétique dans ce disque globalement porté sur l’énergie.

Générique de fin poisseux, comme une suspension. Un grésillement s’insinue entre les sons alanguis du Rhodes et les traits d’archet. Puis, à qui sait tendre l’oreille, un cliquetis se fait entendre. Ultime clin d’œil, peut-être, à John Cage, un des inspirateurs du mouvement Fluxus, qui accordait une grande importance au contexte sonore. Ce petit bruit pourrait évoquer la plume reposée par l’écrivain qui termine son ouvrage. Mais il s’agit plutôt ici du premier chapitre d’une histoire qui ne demande qu’à s’écrire. Ou qui, pour le moins, le mérite.