Scènes

Le Hot Club de Lyon fait la part belle à Elysian Fields

Elysian Fields et Milkymee proposaient à Lyon deux étranges soirées les 2 et 3 novembre 2010 à Lyon : si le jazz était mis entre parenthèses, Oren Bloedow et Jennifer Charles ont su imposer leur vision musicale devant un caveau recueilli et conquis.


Elysian Fields et Milkymee proposaient à Lyon deux étranges soirées les 2 et 3 novembre 2010 à Lyon : si le jazz était mis entre parenthèses, Oren Bloedow et Jennifer Charles ont su imposer leur vision musicale devant un caveau recueilli et conquis.

Le Hot Club est un antre pas toujours simple pour l’artiste : pour gagner la scène, il doit se faufiler dans ce qui reste de la petite allée centrale, sur laquelle le public déborde allègrement, le totu dans la pénombre ; l’exercice a quelque chose de l’aveugle s’aventurant dans le couloir du métro à une heure de grande affluence. C’est déjà le cas lors des soirées « ordinaires ». Imaginez donc ce que cela peut donner lorsque sont attendus Elysian Fields dans un caveau où la salle comme le bar affichent complet, pour deux concerts inédits. Rançon de l’exiguïté - et on en aura eu confirmation ce soir là -, cette fusion avec le public crée entre lui et l’artiste un lien étonnant qu’on ne retrouve pratiquement pas sur les autres scènes. Passées les premières secondes, pendant lesquelles il peut être décontenancé par ce parterre si proche, il trouve ici un écrin complice et attachant. On en a eu confirmation avec Milkymee, chargée, avec sa seule petite guitare, d’ouvrir le bal.

Milkymee ? Un visage qui apparaît/disparaît sous de longs cheveux, un jeu de guitare simple aux notes claires, et une voix qui se charge du reste. La jeune femme fait rapidement les présentations, rappelle ses pérégrinations, depuis Maisons-Alfort dans son enfance jusqu’à la Suède où elle a séjourné longuement, entre eaux argentées, grandes forêts et cieux couleur de mine. Seule en scène, avec une petite guitare à peine amplifiée, elle s’attelle à quelques balades, navigue entre un folk rock épuré aux intonations strictement anglophones et volontairement hors du temps. L’ensemble pourrait rester anodin s’il n’y avait la voix : un alliage de décontraction et de fêlures, de pleins et de déliés qui résonne superbement. Tour à tour empressée et nonchalante, caressante et rugueuse, donc magnifiquement contrastée. Une sorte de réponse d’autodidacte à ces cohortes de chanteuses sans relief qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé. Ici, malgré un capodastre farceur, chaque chanson devient comme une pièce d’un puzzle qui sort peu à peu de l’ombre ; l’autoportrait chantonné d’une jeune femme qui semble réduire son jeu et sa mise en scène à leur plus simple expression pour ne garder que l’essentiel. Il y a là une façon de se livrer qui ne laisse pas indifférent.

Au tour des héros de la fête : Elysian Fields, dans un Hot où un public largement conquis d’avance est encore plus à l’étroit et parfois venu de loin découvrir ou redécouvrir ce groupe new-yorkais. A ma gauche, Oren Bloedow, piano et guitare. A ma droite, Jennifer Charles, l’un servant l’autre dans un ordre qui reste indéfini, au fil des chansons, dans une étreinte musicale qui ne se relâche jamais, jusqu’au clap de fin. Sans doute, en égrenant ces chansons extraites des différents albums qui scandent la vie du groupe, ne peut-on tout à fait s’empêcher de penser à quelques grandes influences, celles du Velvet Underground, et par la suite de de Lou Reed ou, plus loin dans le temps, de quelques grandes voix qui ont marqué le jazz. Mais Jennifer Charles a une voix unique, intimiste, dont les infinies nuances transfigurent chaque chanson, les colorant de teintes étranges, mélange de tristesse et de sensualité, de rock carré et de voix noyée. Certes, il y a bien parfois un peu de systématisme dans cette façon de soupirer, mais cela ne saurait amoindrir le chant original de l’artiste. L’adéquation avec la guitare d’Oren Bloedow est totale. Une guitare à la fois soumise aux intonations de Jennifer mais qui vit sa vie dès qu’elle en a le loisir. Oren est d’une musicalité surprenante, composant sous nos yeux un blues rock personnel, charpenté, qui mériterait parfois de s’échapper du cadre fixé et de se retrouver au cœur de formations plus pêchues. Rien que de très normal.