Tribune

Le jazz pour la liberté de la presse

53° album de « Reporters Sans Frontières », consacré d’abord à la situation de cette liberté dans le monde, mais aussi à un superbe Portfolio « Jazz », par les photographes de l’agence, essentiellement Guy Le Querrec et Dennis Stock


Ce numéro 53 est donc, cette fois, consacré non à un photographe mais à une thématique, comme l’an dernier qui évoquait « Sur la route », ou comme, par le passé, « L’Inde » ou « Le Tour de France ». Grand amateur de vélo, incollable sur les lauréats du Tour depuis l’origine, photographe « de jazz » (mais pas que…), le seul des grands noms du Portfolio encore vivant, GLQ voisine avec Dennis Stock, et quelques autres dont la collection F. Driggs. Revue de détail.

De nombreux partenaires s’unissent pour que, chaque année en décembre depuis plus de 50 ans, « Reporters Sans Frontières » puisse éditer et vendre un album de textes et de photographies destiné à aider à son œuvre militante en faveur de la liberté de la Presse et de ses autres objectifs. Que cette année le jazz ait été choisi comme thème unificateur n’ a rien de surprenant si l’on veut bien se souvenir, même de façon parcellaire, de l’histoire et des combats de cette musique dont les sources humaines (déportations d’esclaves depuis l’Afrique) se confondent avec les luttes pour l’émancipation. On se demande même pourquoi avoir tant attendu, au point que des huit grands noms cités dans le sommaire (Robert Capa, Leonard Freed, Burt Glinn, Philippe Halsman, Guy Le Querrec, Dennis Stock et F. Driggs et sa collection d’images), seul GLQ est encore de ce monde.

Mais ce numéro, comme ses prédécesseurs, est d’abord consacré à une « carte du monde » de la liberté de la presse (page 8), évidemment assez inquiétante, puis à une série d’enquêtes sur le terrain (Mexique, Bahreïn, Congo), et enfin à la thématique du journalisme d’infiltration à travers les portraits de Saïd Ramzy, Günter Wallraff, auquel on a joint un étonnant « Petit manuel de survie en zone de guerre ». (pages 10 à 34). Le Portfolio Jazz occupe les pages 35 à 133, c’est dire qu’il prend soin de nous « passer l’œil au papier de verre » [1] après nous avoir rappelé tous ces papiers de guerre.

Rappelons aussi que les photographes sollicités (tous, ainsi bien sûr que les auteurs des textes, ont donné leur travail) sont membres de l’agence Magnum, ce qui explique que des noms qui se sont illustrés dans la photo « de jazz » (Leloir, Pino, par exemple) soient absents de la sélection. Et si Le Querrec et Dennis Stock viennent loin en tête quant au nombre de photographies reproduites (plutôt bien d’ailleurs, cette édition est soignée), les autres sont là parce qu’ils détiennent quelques clichés célèbres et admirables (Collection F. Driggs), ou parce qu’ils constituent un nom symbolique de l’agence (Capa).

Et si Guy Le Querrec était évidemment incontournable, au point qu’à un moment il fut question de lui consacrer le numéro entier (comme il s’est trouvé pour de nombreux autres, de Gilles Caron à Martin Parr en passant par Salgado), très vite le nom de Dennis Stock s’imposa à ses côtés, pour le plus grand plaisir de notre photographe, qui n’a cessé dans son enseignement de vanter les mérites de l’auteur de Jazz Street, ce que nous avons nous-même souligné ici.

Signés de Pascal Anquetil, Michel Butor, Toni Morrison, Francis Marmande, Jacques Gamblin et Pierre Assouline (ce dernier jouant avec bonheur autour du commentaire de photo), les textes qui accompagnent le portfolio viennent en déjouer la répétition. Et pour compléter le tableau dans le sens des photographes d’aujourd’hui et des musiciens diversement « à la mode », de Ibrahim Maalouf à Airelle Besson pour en rester aux trompettistes, on signale page 137 l’exposition Les Couleurs du Jazz Contemporain, une réunion d’œuvres de Patrick Zachmann, « membre éminent de l’agence Magnum » (comme si les autres ne l’étaient pas !), exposition soutenue par BNP Paribas et visible à la Maison de la Radio à Paris et au Lincoln Center à New York. Voilà pour les mille raisons d’acheter ce bel ouvrage, parfait cadeau de fin d’année, clé pour s’introduire dans la champ de la grande photographie.

par Philippe Méziat // Publié le 4 décembre 2016
P.-S. :

Sortie le 1° décembre 2016. Dans les kiosques et les librairies.
100 Photos pour la liberté de la presse, par les photographes de l’agence Magnum Photos. Reporters Sans Frontières

[1Expression bien connue de GLQ