Chronique

Lunatic Toys

Clément Edouard (as), Jean Joly (batt, objets), Alice Perret (Fender Rhodes, orgue, petit clavier)

Label / Distribution : Grolektif Productions

Mon premier joue du saxophone alto. Nourri de Madness et de Maceo Parker plus que de Charlie, et trop Ornette pour être poli.
Mon deuxième, qui est batteur, a dû tomber quand il était petit dans une marmite pleine de métronomes en marche. Il en est ressorti sévèrement allumé et doté d’une pulsation en acier trempé.
Ma troisième est quatre ou cinq instruments à la fois : basse, petites percussions, guitare, deuxième sax, surprises. Normal, elle joue des claviers. Enfin, tout de même.
Mon tout se nomme Lunatic Toys. Les joujoux zinzins, si vous préférez.

Membre du Grolektif, remuant creuset lyonnais, ce trio tendance « démocratique » (ou libertaire, ou équilatéral, ou sans leader, comme vous voudrez) a sorti ce printemps le premier album que voici, juste avant d’aller rafler une troisième place au Concours de jazz de La Défense et une mention spéciale du jury au Tremplin du festival Jazz à Oloron, où nous étions.

Leurs compositions (quatre de Clément Edouard, deux d’Alice Perret et deux de Jean Joly) puisent à trois veines principales.
L’une comique, narquoise, inspirée par le post-punk des années 78-80 et les musiquettes électroniques de Gameboys, comme si Super Mario et Pac-Man cachetonnaient chez les Rezillos (« Entre nous », « Radio Edith », « Tô »). Ça sautille, ça tourne sur soi-même, ça bondit sans élan, ça fait demi-tour ou s’arrête sans prévenir, ça martèle jusqu’à l’énervement un rythme ou une courte séquence mélodique, ça change tout le temps, c’est zinzin à souhait et ça fait rire.
La seconde, sombre et rageuse, donne des hymnes jetés à la face du ciel. Lourdes basses transpercées par un alto vertical et fervent, claviers distribuant de la main droite les lumières et les ombres, batterie rock (« Cowboy », « Que me chantait ma lavande », « NRW ») ou coloriste (« L’occupant »).
La dernière, tendre et d’une tristesse légère, donne « Arbre à papillons » ou le titre-fantôme suivant « L’occupant » (qui reprend un motif secondaire de « Que me chantait ma lavande »). Mélodies faussement simples, pensives, la tête penchée sur le côté, sourire qui en sait long.

De drôles de fées se sont penchées sur le berceau du groupe. Si l’ascendant post-punk - tendance Buzzcocks ou Public Image - est manifeste, il y en a d’autres : la construction des compositions (chaque morceau présente plusieurs thèmes qui s’organisent comme un scénario) est peut-être héritée du rock progressif ; le feeling harmonique, lui, paie son tribut à l’harmolody colemanienne (le début de « L’occupant » sonne un peu comme un hommage à « Lonely Woman ») mais aussi à Noir Désir…
Une particularité pour un trio au référentiel si rock : l’instrumentation. Pas de guitare (enfin si, un clavier), et un sax alto dont le son est pour beaucoup dans l’identité du groupe. Et un signe distinctif : l’improvisation, avec la liberté d’esprit qui l’accompagne.

Bien sûr, on pourrait rêver qu’ils soient plus ceci ou plus cela, qu’ils accentuent la pesanteur sur les titres sombres, que certaines compositions soient un peu plus précises. Mais pour un premier album, c’est un sacré premier album, culotté à souhait et qui a plein de choses à nous dire. On va en parler, des Lunatic Toys. On n’a pas fini.