Chronique

Marc Berthoumieux

In Other Words

Marc Berthoumieux (acc), Giovanni Mirabassi (p), Henri Texier (b), André Ceccarelli (dms)

Label / Distribution : Sous la ville

Quatrième album de Marc Berthoumieux sous son nom, sept ans après les deux volumes de son diptyque Jazz No Jazz. Mais cette courte discographie de leader doit être complétée par ses multiples collaborations, que ce soit en tant que musicien, technicien ou producteur. (Un tour sur son site vous apprendra peut-être qu’il a joué le rôle ô combien important d’ingénieur du son sur un des albums de votre discothèque.) Et lorsqu’il sort de l’ombre, c’est pour mieux partager ses talents de fin mélodiste et d’improvisateur de choix.

Pour ce très attendu In Other Words, il s’est entouré de Giovanni Mirabassi, Henri Texier et André Ceccarelli, ces deux derniers étant pour la première fois réunis sur un enregistrement. Un quartet superlatif, donc, qui promet une approche plus organique. A travers le répertoire choisi - des reprises de morceaux que l’on qualifiera, pour faire simple, de « populaires » (au bon sens du terme), Berthoumieux revient sur des musiques qui l’ont marqué. Aussi ces musiciens dont la carrière force le respect réinterprètent-ils, en d’autres termes, des airs connus. Un concept éculé dont on sait qu’il peut engendrer le meilleur comme le pire. Ici, l’exercice est réussi mais pas exempt de défauts.

Commençons par regretter que le répertoire ait tendance à gommer la personnalité de chacun. Continuons en émettant une réserve sur la pertinence du titre, In Other Words, qui sous-entend une réappropriation quand la musique proposée n’est qu’interprétation, certes « jazzée » et de bon goût, mais qui n’éclaire pas les originaux d’une lumière nouvelle, surtout quand ils ont déjà fait l’objet d’une relecture par le passé : « Time After Time », « Human Nature », tous deux présents sur l’album You’re Under Arrest de Miles Davis. L’intérêt des titres est par ailleurs inégal : on navigue entre reprises grisantes et resucées superflues. Ajoutons que ces réserves s’estompent si l’on se laisse bercer par un jeu collectif souple et soudé, ainsi que de belles interventions individuelles.

Marc Berthoumieux, esthète de l’accordéon, associe dans son jeu l’idiome jazz à une sonorité douce. Sans lorgner du côté de l’Amérique du Sud, ni vers les formules toutes faites « rétro-parisiennes » qu’on associe souvent au piano à bretelles, il impose un style personnel. Il y a du souffle, de belles textures. On peut, comme à l’orgue, étirer les notes ou les interrompre brutalement et ces possibilités, il les exploite via un jeu sautillant et enthousiaste, en développant dans ses chorus des phrases rythmiquement et mélodiquement généreuses. Ce jeu chatoyant bénéficie du soutien harmonique et des subtiles envolées lyriques du pianiste italien, très à l’aise dans cette approche moelleuse de l’accompagnement. Quant aux lignes solides et chantantes d’Henri Texier, elles portent les thèmes et ouvrent aux solistes les portes de l’inspiration en créant un lien entre ces mélodies sucrées et le drumming précis et entraînant d’André Ceccarelli. Le son de groupe est équilibré, tout semble couler de source… et c’est bien ce qui finit par déranger : on a l’impression d’être en présence d’immenses musiciens qui se promènent tranquillement sur une grande route alors que leur talent s’exprime mieux sur d’étroits sentiers aux virages difficiles à négocier.

Ce disque tout à fait recommandable laisse un arrière-goût décevant : il aurait été si agréable d’entendre ce beau quartet proposer du neuf ! Alors on se réjouit d’écouter l’accordéoniste, mais on est impatient de retrouver le compositeur, si possible aussi bien entouré et au service d’un projet qui fasse honneur à l’ensemble, ce qui n’est pas toujours le cas ici.