Scènes

L’Ermitage vibrant à l’unisson

Le Grand Orchestre du Tricot joue Lucienne Boyer à l’Ermitage


Compte rendu du concert du Grand Orchestre du Tricot, qui présentait en octobre son programme « Tribute to Lucienne Boyer » au Studio de l’Ermitage.

Pour faire rapide sur la genèse de ce spectacle, revenons quelque temps en arrière, à un moment où Florian Satche a ressenti, comme il arrive à tout un chacun, le besoin de quitter des yeux un monde par trop tourné vers la violence pour trouver refuge dans l’écoute et l’imprégnation des chansons d’amour de Lucienne Boyer. C’est tombé sur elle, voilà. S’en est ensuivie une histoire d’amour avec lesdites chansons, puis l’envie de créer un répertoire autour d’elles. Le batteur assure la direction artistique de cette pépite du Tricollectif. Il a donc, désignons-le en tout cas comme responsable, appelé Angela Flahaut pour chanter les textes aux couleurs sépia, réuni une belle équipe de musiciens pour multiplier les couleurs comme on le fait pour un bouquet, et confié, riche idée s’il en est, l’arrangement des morceaux à ses complices Théo Ceccaldi, Valentin Ceccaldi et Roberto Negro. Quelques répétitions, des achats de ballons gonflés à l’hélium ou de confettis en forme de cœur, et zou, voilà l’équipage parti pour répandre l’amour, en mode gros bisou et folle guinguette, pour reprendre leurs propres termes.

Roberto Negro © Michel Laborde

Comme à chaque fois avec le Grand orchestre du Tricot (dans ses différentes moutures), cela donne un spectacle puissant, ici plein de fantaisie et de bonne humeur. Beaucoup d’ambiances, de trouvailles, d’explosions et de respirations. Le répertoire est majoritairement enjoué et le ton trouvé est très juste. C’est amusant sans que jamais les traits d’humour ne soient forcés, c’est touchant sans être mièvre, c’est décalé sans être hors-sujet. C’est sophistiqué mais pourtant très simple, un pot-pourri réjouissant dont les écoutes répétées du disque ne nous auront pas lassés.

Le plaisir est d’autant plus intense que ce répertoire, au-delà de ses qualités intrinsèques, est fait pour être joué en public, contexte permettant évidemment à l’orchestre de donner la pleine mesure de sa force de frappe, mais qui autorise également quelques saynètes, comme celle de l’assassinat de Théo Ceccaldi sur « Mon cœur est un violon », ou comme l’amusant dialogue entre Angela Flahaut et Roberto Negro, lorsque la chanteuse demande au « bel Italien » de lui jouer une « musica mouatta ». Les musiciens s’amusent beaucoup, sourient, multiplient les échanges complices. Le plaisir qu’ils prennent se voit, s’entend, se ressent. Et se partage. La musique est en perpétuel équilibre entre les formes populaires (valse, disco, rock, cha-cha-cha, que sais-je) et la sophistication habituelle de ces musiciens turbulents. C’est dansant mais il y a des sorties de route, comme le furieux passage en quartet au centre de « Mon cœur est un violon », où Roberto Negro, Stéphane Decolly et Roberto Negro portent avec vivacité un solo de saxophone baryton très physique (et inspiré) de Matthieu Metzger, ou comme le bend monstrueux d’Eric Amrofel qui tranche avec le ton rétro de « La Clé sur la porte ».

Angela Flahaut © Michel Laborde

Fait notable sur ce concert, la quasi-totalité de la « frontline » était absente, hormis le très intéressant Sacha Gillard, de fait entouré de remplaçants de luxe en les personnes de David Sevestre (saxophone ténor et soprano), Matthieu Metzger (saxophones alto et baryton), et Alexis Persigan (trombone). Les pauvres n’ont eu droit qu’aux balances en guise de répétition, et ont pourtant assuré tout au long du concert, y compris sur des épisodes ou les instruments à vent, seuls, devaient interpréter des parties complexes nécessitant précision et feeling (notamment sur « La Valse tourne », en préambule d’une réjouissante reconstruction collective de la fameuse valse).

Avec sa robe blanche et ses sourires d’enfant, la pétillante Angela Flahaut fait mine d’oublier qu’elle est assise sur une citerne de kérosène, et associe avec bonheur sa candeur aux grondements (et murmures) d’un orchestre explosif.

Ce programme enthousiasmant sera joué de nouveau, au Studio de l’Ermitage, le 14 janvier prochain. Sortie conseillée, vous l’aurez compris.