Portrait

Didier Levallet, la transmission du savoir

Figure emblématique du jazz français, Didier Levallet n’en oublie pas pour autant la pédagogie.


Didier Levallet © Christian Taillemite

Didier Levallet, Directeur artistique du festival Jazz Campus en Clunisois, prend le temps de se confier sur sa vision du jazz et de ses à-côtés. Nourri par les multiples facettes de cette musique, il invite depuis des années de jeunes générations à s’impliquer et à progresser dans des stages animés par des intervenants de qualité. Son travail pédagogique longuement développé essaime désormais bien au-delà de Cluny.

Didier Levallet

- La semaine de concerts annuels qui se déroule à Cluny est indissociable des stages qui accueillent de nombreux stagiaires. Ce développement coopératif engendre une créativité qui vous doit beaucoup ?

La programmation de Jazz Campus en Clunisois est dans la lignée de ce qu’on a construit depuis toutes ces années : l’actualité de cette musique dans une optique de création. Il y tout un vivier de musiciens aujourd’hui qui ne demandent qu’à s’exprimer ; ils sont très créatifs. C’est un équilibre entre ce fil conducteur sur toutes les années, avec des points de repère sur le travail d’artistes que l’on suit et la découverte des nouveaux talents.

- L’aspect formatif ainsi que les ateliers font partie de l’ADN de Jazz Campus en Clunisois. Les stages, étendus durant de nombreuses années aux enfants de 7 à 11 ans puis aux 12 - 16 ans, ont pris une autre dimension depuis l’an dernier avec des concerts destinés aux tout-petits de 6 mois à 3 ans.

Le stage est l’élément fondateur de cette manifestation, ça a d’ailleurs commencé par un stage avant même qu’on puisse faire des concerts durant les deux premières années. On transmet du savoir, du savoir-faire et le choix des intervenants est important. Durant la semaine la plupart de la centaine des stagiaires se rendent aux concerts, ça fait un public de choix. Ces personnes ont travaillé la musique toute la journée et ils viennent voir des réalisations qui sont plutôt proches de ce qu’on leur demande de réaliser durant leurs séances de travail. Les intervenants sont de nature et de propositions différentes mais tout cela s’inscrit dans ce souci d’être dans l’actualité des esthétiques qui se développent aujourd’hui.

- L’évocation des débuts votre carrière rappelle combien le volet formatif a évolué depuis un demi-siècle.

Lorsque j’ai démarré, il n’y avait aucun outil disponible, il n’y avait pas de formation pour cette musique. Je suis allé prendre des cours de contrebasse mais c’était de la musique classique. C’est ce qu’aujourd’hui beaucoup de gens ont du mal à réaliser : aucun outil disponible n’existait pour apprendre à jouer cette musique. Il n’y avait pas d’autre moyen que de l’écouter et d’essayer de comprendre comment elle était faite.

A l’époque où le mur de Berlin était érigé, j’ai fait venir Günter « Baby » Sommer qui a joué et animé des ateliers durant plusieurs années à Cluny.

- Vous vous êtes lancé dans le jazz dans les années soixante en vous rendant dans les clubs à Paris ; par la suite, vous avez dirigé de nombreuses formations sous votre nom.

J’ai tout d’abord remplacé des musiciens et joué avec Mal Waldron et bon nombre de musiciens américains de passage, dont Johnny Griffin ou Kenny Clarke. Avec Perception et Confluence j’ai été entouré de bon nombre de musiciens, Siegfried Kessler, Yochk’o Seffer, Jean-My Truong, Merzak Mouthana, Jean Querlier, Philippe Petit, Jean-François Canape pour n’en citer que quelques uns. J’ai fait se côtoyer des musiciens d’horizons divers mais d’âges différents comme dans mon tentet Générations, qui célébrait également la naissance de mon fils en 1992. Dans l’ONJ il y avait le trompettiste britannique Harry Beckett qui avait beaucoup plus de soixante ans, et Nicolas Folmer, d’une vingtaine d’années, qui sortait tout juste du Conservatoire de Paris.

Didier Levallet © Mario Borroni

- L’un des moments forts de votre carrière se concrétise avec la création du Swing Strings System. Un stagiaire clunisois deviendra par la suite acteur de cette formation.

Traditionnellement, chez les musiciens et les amateurs de jazz, les cordes c’est le diable, c’est le tapis hollywoodien, c’était a priori casse-gueule. J’ai profité de circonstances historiques comme l’émergence de Didier Lockwood, qui rejoignait ici Jean-Charles Capon. J’ai écrit comme pour des vents et ça a marché, ce premier disque a fait date. Quelques années après, toujours avec Capon mais avec l’apport de nouveaux musiciens, dont Dominique Pifarély que j’avais connu comme stagiaire à Cluny, un nouveau disque du Swing Strings System est sorti. Nous avons eu une belle carrière avec cet orchestre.

- Le Super Strings System avait répété à Paris dans un lieu préalablement destiné aux grands orchestres ce qui donna naissance à l’album Paris-Suite, inspiré par la capitale. Parallèlement, le free-jazz continuait-il de vous inspirer ?

Historiquement, les Français étaient moins avancés que les autres Européens dans les musiques qui, profitant de l’ouverture stylistique que le free-jazz avait apportée, construisaient des identités qui se réappropriaient une certaine tradition musicale européenne. Mais n’oublions pas le Cohelmec et le Dharma, ces groupes français qui pratiquaient une musique un peu individualisée. A l’époque où le mur de Berlin était érigé, j’ai fait venir Günter « Baby » Sommer qui s’est produit et a animé des ateliers durant plusieurs années à Cluny. J’ai joué en Angleterre aux côtés de Tony Oxley, qui est présent sur mon album Scoop : il a su cultiver sa singularité en développant quelque chose de fortement individuel auquel il tenait farouchement.

- Pouvez-vous évoquer vos souvenirs d’enfance liés au jazz ?

Tout a démarré à douze ans avec mon premier disque, Sidney Bechet et la chanson « Les Oignons ». C’était la musique des jeunes de l’époque, mais j’étais encore plus jeune que les jeunes ! Très vite, j’ai acheté des revues spécialisées et j’ai lu des articles sur Thelonious Monk, mais je ne l’avais jamais entendu. Un jour à la radio, j’entends un pianiste et je me dis « cette musique, ça doit être Monk »… et c’était Monk. Aujourd’hui, si vous me demandez quel est pour moi LE musicien de jazz, c’est Thelonious Monk.

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