Scènes

Memories Of The Missing Room ou Moriarty au théâtre

Des comédiens, un dessinateur, un groupe de rock : Memories Of The Missing Room réunissait sur la scène du Théâtre de la Bastille en septembre 2012 le théâtre, le dessin et la musique, tous live.


Des comédiens, un dessinateur, un groupe de rock : Memories Of The Missing Room réunissait sur la scène du Théâtre de la Bastille en septembre 2012 le théâtre, le dessin et la musique, tous live.

Dans une chambre d’hôtel anonyme, quelque part aux Etats-Unis, un couple anglophone se déchire une fois, deux fois, trois fois… La scène se rejoue à de nombreuses reprises, alimentée par l’arrivée d’un troisième homme, tantôt amant, tantôt mari, tantôt assassin. Les liens entre les personnages imaginés par Marc Lainé, auteur et metteur en scène, se font et se défont au gré d’une syntaxe onirique qui plonge au fur et à mesure dans l’absurde et le cauchemar. Et, entre chaque saynète, le groupe de rock Moriarty apparaît pour interpréter un morceau de l’album sorti en 2011, The Missing Room. Comment ? Le mur du fond de scène bascule sur lui-même, et de l’autre côté sont installés les musiciens, prêts à jouer.

C’est en entendant l’album de Moriarty que Marc Lainé a eu envie d’en illustrer les chansons par une histoire théâtrale ; on distribue à l’entrée les paroles aux spectateurs, comme si elles étaient le synopsis du spectacle. Conçu comme une exploration de la culture populaire américaine, celui-ci est entièrement est en anglais : textes et chansons — alors que l’équipe est presque exclusivement française. Seul le dessin de Philippe Dupuy n’est pas vraiment identifiable comme appartenant à une culture ou à une autre : seul à gauche de la scène, il illustre d’un trait noir et sûr les actions qui se déroulent devant lui, sur une page blanche agrandie et projetée en fond de scène. Des figures abstraites se transforment en loups, et il faudrait revenir pour savoir si ce sont les mêmes tous les soirs. Si les dessins eux-mêmes sont sans doute improvisés, les moments où ils sont réalisés ne le sont pas. Tout est calculé, comme toujours au théâtre : le puzzle artistique sait exactement où il va, et explore ses propres possibilités.

La chanteuse se fait comédienne, les comédiens interviennent dans les chansons, interrompent, reprennent, rendent visite au dessinateur… L’envie est là, mais les effets un peu faibles. Tout cela paraît bien scolaire. Sans doute parce que Moriarty joue un album pré-existant en entier sur scène : cela rigidifie inévitablement l’exercice. La musique elle-même ne se prête guère au jeu du détournement scénique ; simplement pop-rock, sans originalité particulière, les chansons se suivent et se ressemblent. Serait-elle pensée comme le reflet de l’Amérique moyenne représentée dans cette chambre d’hôtel ? C’est anticiper les desseins de l’auteur-metteur en scène. Difficile en effet de voir ici autre chose qu’une succession de saynètes et de chansons qui se jettent des regards sans parvenir à se toucher réellement, par opposition à un spectacle où la musique serait un objet de jeu et d’invention. Restent l’humour, bien présent, et le charme des vies qui se rejouent perpétuellement sous nos yeux, comme une lointaine réminiscence théâtrale du Smoking No Smoking d’Alain Resnais.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 15 octobre 2012
P.-S. :

Ecriture et mise en scène : Marc Lainé
Dessins : Philippe Dupuy
Musique et interprétation sur scène : Moriarty

Avec Geoffrey Carey, Priscilla Bescond, Philippe Smith.

Lumière : Kelig Lebars
Son : Morgan Conan
Vidéo : Baptiste Klein
Collaboration artistique : Tünde Deak.