Chronique

Michael Felberbaum Quartet

Lego

Michael Felberbaum (elg), Pierre de Bethmann (p, Rhodes), Simon Tailleu (cb), Karl Jannuska (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Lego, paru en fin d’année 2015, est le deuxième album du quartet de Michael Felberbaum. Le premier, Sweet Salt, était paru en 2006, sur le même label ; les musiciens étaient les mêmes à l’exception de Daryl Hall qui tenait la contrebasse. Lego a été bien accueilli par nos confrères qui ont écrit en nombre à son propos. Il est intéressant de noter que cet album est souvent décrit comme abstrait, voire « cubiste ». Quant au leader et compositeur, Michael Felberbaum, qui est aussi guitariste est, selon les plumes, tour à tour un émule de Jim Hall, de John Scofield, de Larry Corryell, de Pat Metheny et de quelques autres.

Il y a du vrai dans tout ça, bien entendu mais, pour notre part c’est un autre aspect de cette musique qui nous paraît devoir être signalé : la profusion mélodique. Nous avions déjà remarqué cet aspect des compositions de Michael Felberbaum dans Sweet Salt : le morceau « Phosphor-Essence » notamment, avec sa mélodie entêtante et son rythme astucieux, nous avait longtemps trotté dans la tête. Michael Felberbaum est certes un brillant guitariste, mais c’est aussi une excellente plume doté d’un talent pour la mélodie qui n’est pas si courant dans le jazz contemporain. Ceux qui réécoutent Lego courent le risque de se mettre en tête des airs qui vont leur coller à la mémoire comme le sparadrap aux doigts du capitaine Haddock dans L’Affaire Tournesol ! Et le thème infectieux de « Flow » n’est pas seul à faire cet effet. Les premières notes chantantes de « Horse » et surtout les acrobaties et grands écarts bossa-novesques de « Now » vous laissent ainsi aux prises pour quelques jours avec des traces mélodiques résistantes !

Les compositions du leader ne se distinguent pas uniquement par leurs mélodies : elles sont également brillamment construites - ce qui s’impose quand on intitule un album Lego. Sur le morceau titre, on remarque la façon dont la basse d’une part, la guitare et le Fender Rhodes d’autre part, s’échangent les thèmes, telle ligne de basse devenant un thème que développent piano et guitare, tel thème des solistes étant repris subrepticement par la basse. Et tout ça, demanderez-vous, c’est bien joué ? La réponse coule de source : on ne présente plus Pierre de Bethmann, ici un peu au piano et beaucoup au Fender Rhodes, dont le son s’accorde bien aux compositions. Ses solos sont évidemment menés de main de maître, mais on apprécie les touches de couleur qu’il dépose ici ou là grâce à sa grande maîtrise de cet instrument et des effets qu’il lui adjoint. La basse de Simon Tailleu est solide et mélodique elle aussi comme le montre son fort chantant solo de basse au début de « Nostalgia ». Le batteur, Karl Jannuska est lui aussi bien connu et il faut noter que sa propre musique en tant que leader, tirant plus vers pop et rock que vers jazz, et fait beaucoup appel à la voix. C’est donc tout ce quartet qui chante et nous enchante avec un très intéressant son de groupe. Quant aux arrangements, ils méritent une écoute attentive qui fera par exemple découvrir un discret doublage de la guitare sur le deuxième refrain de « Flow » ou de discrètes touches d’orgue sur « Mint » et « Variations ».

Alors, certes, on dira que la mélodie, ça fait du bien, mais que ça peut tirer un disque vers la joliesse, lui donner un côté propret, émollient ; pas de ça, ici, ce quartet débordant d’une joviale énergie et, si ça chante, dans Lego, ça danse aussi et ça n’oublie pas de groover. Bien sûr, on ne trouvera ici ni territoires inexplorés, ni prises de risques insensés, pas davantage qu’on y sentira le soufre ou le vent de la révolte. Mais pourquoi bouder son plaisir et ne pas s’accorder des joies printanières avec ce groupe soudé d’excellents musiciens jouant les compositions variées, mélodiques et sophistiquées d’un guitariste-compositeur qui n’a peut-être pas encore la reconnaissance qu’il mérite ?