Scènes

Jazz à l’Ouest, de la maison au château

Échos de la 27e édition du festival de l’agglomération rennaise


Agata © Jean-François Picaut

Pour sa vingt-septième édition, Jazz à l’Ouest, dont le cœur se situe à la MJC Bréquigny (Rennes, Ille-et-Vilaine), étend encore son champ d’action : 43 lieux de concerts, 45 partenaires et 40 expositions. Son influence s’étend presque à tout le bassin rennais. En voici quelques moments…

Mardi 8 novembre (MJC Bréquigny)
Souffles 3 : un voyage onirique
La MJC est littéralement pleine comme un œuf pour l’inauguration de cette 27e édition. C’est un trio original qui ouvre les festivités : Michel Aumont (compositions, clarinette basse et looper), Youenn Le Cam (trompette, petit tuba, looper) et Régis Huiban (accordéon chromatique).
Cette association insolite de trois instrumentistes dont le matériau est le souffle a de quoi surprendre. Le résultat, que Michel Aumont qualifie avec humour de « musique armorigène », est assez saisissant. Ce qui frappe, c’est la pulsation constante qui sous-tend le flux sonore, c’est la recherche harmonique et le remarquable travail sur les sonorités ; la clarinette se frotte souvent à l’Orient et la trompette donne à entendre d’autres sons peu usuels.
L’éclairage tamisé qui prévaut dans ce concert est tout à fait adapté à l’univers onirique que le trio nous propose d’explorer. On se laisse volontiers séduire et entraîner. Il ne s’agissait, ce soir, que d’un galop d’essai. La création officielle devrait avoir lieu dans les premiers mois de 2017.

Agata : la soul venue du Nord
Pour le quartette d’Agata Krwawnik, c’est la soirée officielle de sortie de son album French Connection. Pour l’occasion, la chanteuse, lauréate du tremplin jazz aux Rendez-vous de l’Erdre 2015, a étoffé son groupe avec deux choristes (Julia Chesnin et J. Quarm qui signe une belle improvisation), un maître de cérémonie, RaceCar, qui s’avère un chauffeur de salle expert et un guitariste, Benj Bobi.
Comme son nom le suggère, Agata est polonaise. La chanteuse, qui est aussi une voyageuse, est désormais installée en Bretagne et, bien qu’elle parle français, chante en anglais (et présente aussi ses musiciens dans cette langue !), à l’exception d’une ballade en polonais sur laquelle elle fait chanter le public à bouche fermée.
Agata est une chanteuse très expressive. Sa voix possède un timbre chaleureux. Son articulation est précise. Le style est résolument soul avec de petites incursions du côté du hip-hop, qui se traduisent par une large utilisation du parlé-chanté et quelques tentations pop.
Elle est accompagnée par un trio épatant au sein duquel brille Édouard Ravelomanantsoa (clavier) dont on apprécie la délicatesse dans les ballades et la forte présence dans les titres plus rythmés. A la basse, Samuel Bellanger signe quelques beaux passages mélodiques. Le batteur Ronan Després est aussi à l’aise dans les nuances avec ses balais que capable de force quand il le faut. Tous les trois contribuent largement à l’inscription du groupe dans la mouvance jazz.

Louise Robard par Jean-François Picaut

Jeudi 10 novembre 2016 (Château d’Apigné)
Pour la désormais traditionnelle soirée « Is it a JOC ? » (Jazz Œnologie Cocktail), le festival se transporte au Château d’Apigné (Le Rheu, Ille-et-Vilaine). Chaque année cette soirée s’améliore. Cette fois, M. Karim Khan, le propriétaire, propose un excellent piano droit et l’acoustique a été revue. Encore un petit effort sur les lumières et on s’approchera de la perfection.

Velvet Blossom : un duo attachant
Cette « Fleur de velours » (allusion érotique ?) réunit le pianiste Guillaume Casini (créateur de la Vocal Jam Session de Rennes) et la chanteuse Charlotte Guérin remarquée au Tremplin Orléans’Jazz 2013. Leur programme est fait de compositions originales, signées Guillaume Casini, et de reprises.
Le concert commence avec « Good Morning Heartache ». Cette ballade créée par Billie Holiday met en valeur le jeu élégant du pianiste et la superbe voix de Charlotte : puissance, graves appréciables, expressivité, très léger voile. Dans « Don’t Shoot The Clown », on croit percevoir quelques traces de nasalisation (présence de piercings ?). « Crossroads » révèle un vrai sens du rythme. « Elablues » bénéficie d’une belle introduction a cappella, loin du micro. Maintenant que Charlotte s’est débarrassée de ses chaussures à très hauts talons, elle paraît nettement plus à l’aise et sa voix gagne en naturel. « Zia Things » confirme ce qu’on pensait : la chanteuse est bien meilleure dans le registre dramatique que dans le plus léger, comme ici. « Au Cinéma », emprunté à Lianne La Havas, mérite surtout d’être retenu pour la fin avec ses vocalises et ses passages murmurés.
Le clou de ce concert demeure l’indémodable « Summertime ». L’interprétation de la chanteuse est très personnelle, on sent qu’elle s’exprime avec tout son cœur. La partie de piano est un pur régal.
On suivra avec attention ce talentueux duo qui fait ses premiers pas.

Lemontoke : le nouveau groupe soul et funk de Rennes
C’est la première scène pour Lemontoke qui n’en paraît pas vraiment ému. Il est vrai que le groupe travaille depuis deux ans. Son appellation un peu mystérieuse évoquerait le piquant du citron et on y reconnaît deux syllabes de Philémon, le prénom du guitariste et compositeur Philémon Régnauld. Les textes sont signés par la chanteuse Louise Robard. On ne voit d’abord qu’elle, tant elle prend la lumière.
Louise possède une voix très ductile, puissante et bien timbrée. En plein accord avec la musique, elle bouge sur scène avec beaucoup d’aisance et son sourire éclatant vient parachever son charisme.
Dès le second titre du concert, « Leave The Colony », on remarque la grosse présence, qui deviendra parfois excessive, de la basse (Daravan Souvanna) et de la batterie (Marcus Camus). Philémon Régnauld y signe un premier solo de guitare qui retient l’attention. On retrouvera ces qualités dans « Let’sThrow It All Away » où Olivier Guénégo s’illustre aux claviers.
Le quartette instrumental introduit très délicatement la ballade « Out Of My Mind » avant que le martèlement basse-batterie ne monte en puissance et n’écrase un peu tout. Les deux instruments ne sont pourtant presque pas amplifiés en façade. On peut donc se demander si ce n’est pas la salle qui est mieux adaptée à des musiques plus intimistes.
Dans ce contexte, « Over the Moon » est une ballade fort bienvenue. C’est aussi l’occasion d’apprécier Louise Robard dans un registre plus apaisé où elle montre son aisance et sa sensibilité.
La fin du concert est plus animée et les efforts répétés de la chanteuse finiront par entraîner dans la danse une grande partie du public avec « Magic Glasses » et « Daylight ».
Quoi qu’il en soit, le lancement de Lemontoke est un franc succès. Dès ces premiers jours, Nicolas Radin, le directeur artistique, et Valérie Leroux, la directrice de la MJC, peuvent se flatter d’avoir bien avancé dans ce qui est un des rôles de tout festival digne de ce nom : révéler de nouveaux talents.