Chronique

Walsfdorff / Kaufmann / Borghini / Lillinger

Coming Up For Air

Henrik Walsdorff (as), Achim Kaufmann (p), Antonio Borghini (b), Christian Lillinger (dms)

Label / Distribution : Trouble in The East

Saxophoniste allemand qu’on a pu entendre avec Ulrich Gumpert, Colin Vallon ou encore Rudi Mahall (épatant album What’s New, paru l’an passé), Henrik Walsdorff réunit, avec cet album constitué d’une seule plage de plus de 50 minutes, ce que Berlin compte de plus intéressant dans la frange des presque quinqua qui font vivre les musiques improvisées européennes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est l’émergent label Trouble in The East Records, berlinois lui aussi, qui publie Coming Up For Air, où s’illustre notamment le pianiste Achim Kaufmann que l’on a pu entendre dans Melanoia. C’est un brasier instable qui crépite autant qu’il peut, qui se fait percussif et menaçant quand il le faut mais peut s’éteindre d’un coup, sous le double effet conjugué de l’insatiable souffle de Walsdorff à l’alto et du grondement de la batterie de Christian Lilliger.

On pense d’ailleurs que le clavier se tarit au bout d’une poignée de minutes, mais c’est pour renaître de ses cendres, plus structurant que jamais. C’est à ce moment-là une explosion qui fait taire l’alto - mais pas la batterie. On pourrait penser que Lillinger est dans un rôle à rebours de la machinerie sophistiquée de ses précédentes sorties. Dans le feu croisé de sa mitraille on est loin, certes, de Open Form for Society, ou même de Qöölp. Ce serait oublier son impulsivité entendue avec Axel Dörner ou Ronny Graupe (Riot). Ce serait également oblitérer que dans cet exercice de pleine spontanéité en quartet, c’est lui qui parvient à apaiser durablement un Walsdorff titubant entre les accords martelés de Kaufmann et ses roulés incessants.

Il n’est pas seul d’ailleurs à instaurer une forme de régulation dans la progression de la rencontre. D’abord discret, le contrebassiste italien Antonio Borghini s’impose à l’archet comme le meilleur thermostat alentour. Il adoucit d’abord le piano, puis relance la courbe ascendante de l’alto, redevenu intarissable. Entendu avec les théoriciens de Die Hochstapler, Borghini est installé depuis longtemps à Berlin et agit comme le vif-argent dans ce quartet où les rhizomes colemaniens percutent avec un franc succès d’hybridation des envolées bouturées chez Cecil Taylor. Coming up For Air est libre et fougueux, la musique y circule comme un courant ascendant. Les oreilles se doivent d’être ouvertes à tout vent, comme le sont les fenêtres un jour de printemps.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 juin 2020
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